Page 149 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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dédommagé de l’extrême mortification de paraître sous cette
grotesque figure ; car avec cette grandissime paire d’oreilles dont elle
m’avait doté, je pouvais entendre le mieux du monde ce qu’on disait
même assez loin de moi.
Voici ce que je pus recueillir un jour du caquet de la vieille drôlesse.
Triste galant que le vôtre ! À vous, ma chère maîtresse, et à vous seule
de voir quel parti en tirer. Je ne me suis pas mêlée d’un pareil choix.
Une poule mouillée ! un poltron ! que votre butor de mari fait trembler
comme la feuille rien qu’en fronçant le sourcil, et dont les
languissantes ardeurs vous mettent chaque jour au supplice. Parlez-
moi de Philésitère ; c’est là un joli cavalier, et qui est généreux, et qui
est brave, et qui n’est jamais en défaut contre les vaines précautions
des maris. Voilà l’homme à qui les faveurs de toutes nos belles
devraient être dévolues par privilège ; l’homme dont il faudrait orner
le front d’une couronne d’or, ne fût-ce que pour le tour sans pareil qu’il
vient de jouer à un jaloux. Écoutez, et voyez combien il est vrai de dire
qu’il y a galant et galant.
Vous connaissez Barbarus, le décurion de la ville, que son humeur
acrimonieuse a fait surnommer le Scorpion. Il a pris une femme de
bonne famille et d’une beauté rare, qu’il surveille avec un soin
extrême, sans lui laisser mettre le pied dehors. Oui, certes, je le
connais, reprit vivement la boulangère. C’est Arété, ma camarade
d’école. En ce cas, dit la vieille, vous connaissez tout au long
l’aventure de Philésitère ? Je n’en sais pas un mot, dit l’autre, et je
désire vivement la connaître. Voyons, la mère, contez-moi, je vous
prie, le tout de point en point. Sans se faire presser, l’éternelle jaseuse
reprit ainsi : Ce Barbarus, à la veille d’un voyage indispensable, voulut
s’assurer le plus possible de la chasteté de sa femme, en son absence.
Il avait un petit esclave nommé Myrmex, d’une fidélité reconnue. Il
lui donna en secret ses instructions, avec plein pouvoir pour la garde
de sa maîtresse. De plus, il le menaça des fers et du cachot, jurant par
toutes les divinités de l’y faire mourir de faim, au cas où il laisserait
qui que ce fût toucher la belle, même en passant, ne fût-ce que du bout
du doigt. Cela fait, le mari part, certain d’avoir près de sa femme un
gardien que la terreur attacherait à tous ses pas. Myrmex, en effet, n’a
plus de repas, ne peut plus laisser sortir sa maîtresse ; il s’assied près
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