Page 151 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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malheur. Il court chez Philésitère, et lui annonce avec transport qu’à la
fin il a, non sans peine, obtenu pour lui l’objet de ses désirs. Aussitôt
il réclame la récompense ; et l’or sonne dans cette main qu’à peine
jusqu’alors monnaie de cuivre avait touchée.
Quand la nuit fut assez sombre, Myrmex introduisit le hardi galant,
seul et les yeux bandés, jusqu’à la chambre à coucher de sa maîtresse.
À peine les deux amants avaient-ils goûté les prémices d’un amour de
fraîche date, et fait essai de leurs forces dans l’amoureux conflit, tous
deux dans le déshabillé convenable à ce genre d’exercice ; voilà le
mari qui revient contre toute attente, ayant avec intention choisi le
retour de la nuit. Mon homme frappe, crie, heurte à la porte avec une
pierre. Cette lenteur à lui ouvrir accroît ses soupçons, et déjà il menace
Myrmex du dernier supplice. Le malheureux, dans l’excès de son
trouble et ne sachant où donner de la tête, s’excuse, en désespoir de
cause, sur l’obscurité qui l’empêche de trouver la clef, tant il l’a bien
cachée. Cependant Philésitère, devinant bien la cause du vacarme, se
rhabille à la hâte et quitte sa maîtresse. Malheureusement, dans sa
précipitation, il oublia de se chausser. Myrmex s’était enfin décidé à
mettre la clef dans la serrure et à ouvrir. Le maître entre, jurant par tous
les dieux, et va droit à la chambre à coucher. Le valet prend son temps,
fait évader Philésitère ; et, rassuré sur son propre compte, une fois que
l’amant a franchi le seuil, il ferme la maison et va tranquillement se
recoucher.
Au point du jour Barbarus se lève, et que voit-il sous le lit ? des
sandales inconnues, celles que Philésitère a laissées. Il devine tout ;
mais, dévorant son chagrin, sans dire mot à sa femme, à ses amis, il
cache les sandales dans son sein ; seulement il commande à ses gens
de garrotter Myrmex et de le traîner vers la place. Lui-même, rugissant
à part soi, les suit à pas pressés, bien convaincu que les sandales le
mettront sur les traces du galant. Le voilà sur la place, se promenant
en long et en large, le sourcil froncé, les traits gonflés par la rage.
Derrière lui, Myrmex étroitement garrotté, Myrmex, qui, bien que non
pris sur le fait, se sent condamné par sa conscience, et cherche
vainement à exciter l’intérêt en fondant en larmes. Philésitère vient à
passer. Il allait à d’autres affaires. Ce spectacle l’émeut sans le
déconcerter. Il ne songe qu’à réparer son étourderie, dont il voit toutes
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