Page 155 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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pas vivre. Je n’irai pas, comme ce brutal de foulon, t’asphyxier par la
vapeur meurtrière du soufre, ni même, comme j’en aurais le droit,
appeler sur la tête d’un si gentil mignon les sévérités de la loi
d’adultère. Je veux être avec ma femme de compte à demi ; voilà tout.
Et point de séparation de biens. J’entends que nous vivions sous le
régime de communauté, et que, sans débat, sans tracasseries, nous
n’ayons qu’un lit pour trois. Ma femme et moi, nous avons toujours
vécu d’accord à ce point que rien ne lui plaît qui ne me plaît pas ; mais
c’est raison que la femme ne soit pas mieux traitée que le mari.
Tout en l’amadouant ainsi, le narquois menait à sa chambre le
jouvenceau, qui ne s’en souciait pas trop, mais n’osait regimber. Il met
ailleurs sous clef sa chaste épouse, et, se couchant seul avec son
Ganymède, exerce d’assez douces représailles de l’affront fait à son
lit. Mais sitôt que le char brillant du soleil eut ramené le jour, le
boulanger appela deux de ses plus robustes valets, et se faisant tenir en
l’air le jeune homme en posture, il vous le fustigea vertement avec une
férule. Ah ! disait-il, avec cette peau si fine et si jeune tu t’avises de
frauder les amateurs, pour courir après les belles ! Et il t’en faut de
condition libre encore ! Tu te mêles de troubler les ménages, et de faire
des cocus, avant d’avoir barbe au menton ! Après ces propos et
d’autres semblables, assaisonnés d’une fessée nouvelle, il fait jeter à
la porte mon Adonis Callipyge. Ainsi s’en tira la fleur des galants, la
vie sauve contre son attente ; mais tout contrit, et au grand détriment
de son train de derrière, qui, tant de jour que de nuit, avait pâti de plus
d’une façon. Ce qui n’empêcha pas le boulanger de faire au plus vite
déguerpir du logis sa digne compagne.
C’était justice assurément ; mais la dame en fut outrée, et le
ressentiment exalta sa perversité naturelle. La voilà qui s’ingénie, et,
pour se venger, remue tout l’arsenal de la méchanceté féminine. Elle
parvint, après bien des recherches, à déterrer certaine devineresse
passant pour faire ce qu’elle voulait par ses sortilèges et ses maléfices.
La dame, à force de prières et de cadeaux, l’amène à lui promettre de
deux choses l’une : ou d’adoucir son mari, et de la faire rentrer en
grâce ; ou, si elle ne peut y réussir, de détacher contre lui quelque
spectre ou larve qui le mette à mort. La toute-puissante magicienne
est bientôt à l’œuvre. Elle essaye d’abord les premiers secrets de sa
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