Page 137 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 137

joie,  et  font  entendre  un  charivari  de  voix  cassées,  rauques  et
         discordantes,  croyant  trouver  dans  le  nouveau  venu  quelque
         jouvenceau qui allait les relayer dans leur sale ministère.   Quand ils
         eurent vu qu’il s’agissait non pas d’une biche en guise de fille, mais
         d’un baudet en guise de garçon, voilà tous les nez qui se froncent par
         ironie, et les sarcasmes qui pleuvent sur le patron. Il s’était, disaient-
         ils, procuré ce luron-là, non pour le service du logis, mais pour son
         usage  personnel.      Ah !  n’allez  pas  l’absorber  à  vous  tout  seul,
         ajoutaient-ils : il faut bien que vos petites colombes puissent parfois
         en tâter à leur tour.   Tout en débitant ces sornettes, on m’attache à un
         râtelier près de là.  Il y  avait dans  ce taudis  un  jeune gars de  forte
         encolure, excellent joueur de flûte, que la communauté avait acquis du
         produit  de  ses  quêtes.  Son  office  était  d’accompagner  de  son
         instrument les promenades de la déesse, et de servir à double fin aux
         plaisirs des maîtres du logis.   Le pauvre garçon salua cordialement ma
         bien venue, et mettant une large provende devant moi : Enfin, disait-
         il, tu vas me remplacer dans mon malheureux service. Puisses-tu vivre
         longtemps, être à leur goût longtemps, afin que je trouve, moi, le temps
         de me refaire un peu ! Je n’en puis plus. Ainsi parla ce jeune homme.
         Et moi, de ruminer piteusement sur les épreuves d’un nouveau genre
         que l’avenir semblait me garder.
            Le lendemain, voilà tous mes gens qui sortent du logis dans le plus
         hideux  travestissement,  chamarrés  de  toutes  couleurs,  le  visage
         barbouillé de glaise, et le tour des yeux peints s’étaient affublés de
         mitres, et de robes jaunes en lin ou en soie.   Quelques-uns portaient
         des  tuniques  blanches,  bariolées  de  languettes  flottantes  d’étoffe
         rouge, et serrées avec une ceinture. Tous étaient chaussés de mules
         jaunâtres.      On  me  charge  de  porter  la  déesse,  soigneusement
         enveloppée dans un voile de soie ; mes gens retroussent leurs manches
         jusqu’à l’épaule, brandissent des coutelas et des haches, et s’élancent
         bondissant,  vociférant  au  son  de  la  flûte,  qui  exalte  encore  leurs
         frénétiques  trépignements.      La  bande  passe  sans  s’arrêter  devant
         quelques pauvres demeures, et arrive devant la maison de campagne
         d’un seigneur opulent. Dès l’entrée, ils débutent par une explosion de
         hurlements.   Puis ce sont des évolutions fanatiques, des renversements
         de tête, des contorsions du cou, qui impriment à leur chevelure un



                                         137
   132   133   134   135   136   137   138   139   140   141   142