Page 132 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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sur nos têtes. Grimpés sur leurs toits ou sur les hauteurs voisines, les
         paysans nous accablent tout à coup d’une grêle de pierres ; si bien qu’il
         n’y avait plus pour nous que l’alternative d’être déchirés de près ou
         lapidés de loin.   Un de ces projectiles vint frapper à la tête une femme
         qui était assise sur mon dos ; c’était précisément celle du chef de la
         caravane. Aux cris et aux sanglots que lui arrache la douleur, son mari
         accourt à son aide.
            Et voilà cet homme qui, tout en essuyant le sang dont sa femme est
         couverte, prend tous les dieux à témoins, et se met à crier plus haut
         qu’elle. Pourquoi cette barbare agression, ces atroces violences, contre
         de pauvres voyageurs accablés de  fatigues ?    quelles  déprédations
         avez-vous  à  repousser ?  Quelles  représailles  à  exercer ?  Vous
         n’habitez pas les repaires des bêtes fauves ou les rocs inhospitaliers
         des peuplades sauvages, pour verser ainsi le sang de gaieté de cœur.
         Ce  peu  de  mots  arrêta  soudain  la  grêle  de  pierres,  et  mit  fin  aux
         incursions  forcenées  des  chiens,  qui  furent  rappelés.      L’un  des
         habitants parla ainsi du haut d’un cyprès : Nous ne sommes pas des
         brigands, nous n’en voulons pas à vos dépouilles. Nous ne songions
         qu’à  repousser  de  votre  part  l’espèce  d’agression  dont  vous  vous
         plaignez.  La  paix  est  faite ;  vous  pouvez  tranquillement  continuer
         votre  voyage.      Il  dit,  et  nous  nous  remettons  en  route,  les  uns  se
         plaignant de coups de pierre, les autres de coups de dents ; et tous plus
         ou  moins  éclopés.      Après  avoir  cheminé  quelque  temps,  nous
         atteignîmes  un  bois  de  haute  futaie,  entremêlé  de  riantes  clairières
         tapissées de gazon. Là nos conducteurs jugèrent à propos de faire halte
         pour  prendre  quelque  repos  et  donner  les  soins  nécessaires  à  leurs
         membres diversement maléficiés.   Chacun, de son côté, s’étend sur
         l’herbe,  et,  après  avoir  repris  haleine,  procède  à  la  hâte  à  diverses
         sortes de pansements. Celui-ci se sert, pour étancher son sang, de l’eau
         d’un  ruisseau  voisin ;  celui-là  bassine  ses  contusions  avec  des
         compresses mouillées ; un autre rapproche avec des bandes les lèvres
         de ses plaies béantes. En un mot, chacun se fait lui-même son médecin.
            Cependant, du haut d’un monticule voisin, un vieillard suivait des
         yeux  cette  scène.  Un  troupeau  de  chèvres  paissant  autour  de  lui
         indiquait assez sa profession. Un des nôtres lui demande s’il avait du
         lait ou des fromages à vendre ;   mais cet homme se met à branler la



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