Page 131 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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compagnons de charge, pour couvrir mes parties postérieures de
l’agression des dents carnassières. On s’émerveillait de me voir
prendre le pas sur toute la cavalcade. Ce n’était pas par légèreté,
c’était par peur. Sur quoi je fis cette réflexion : Il se pourrait que le
fameux Pégase n’ait dû qu’à semblable cause les attributs d’oiseau
qu’on lui a prêtés, et que la tradition de ses ailes, et de son essor
prodigieux jusqu’à la voûte éthérée, n’exprimât autre chose que la
crainte des morsures enflammées de la Chimère. Mes conducteurs,
au surplus, s’étaient armés, dans l’attente d’un combat. L’un tenait une
lance, l’autre une épée, celui-ci des javelots, celui-là un bâton. Tous
avaient fait provision de cailloux, que nous fournissait en abondance
le sentier pierreux où nous marchions. On voyait dans quelques mains
des morceaux de bois pointus par un bout ; mais on comptait
principalement sur des torches allumées, dont on s’était pourvu pour
tenir les loups à distance. Enfin, nous étions, à une trompette près, en
complet équipage de bataille. Nous en fûmes cependant quittes pour
la peur ; mais nous n’évitâmes ce danger que pour tomber dans un
autre bien autrement redoutable. Les loups, intimidés par ce vacarme
de gens armés, ou écartés par la lumière des flambeaux, ou peut-être
occupés sur un autre point, ne tentèrent pas d’incursion contre nous.
Aucun ne se montra même de loin.
Mais comme nous passions devant une grosse ferme, les gens qui
l’exploitaient nous prirent pour une troupe de voleurs. Inquiets pour
leur propriété, et aussi peu rassurés pour leurs personnes, les voilà qui
lancent contre nous, avec les cris et excitations d’usage en pareil cas,
une bande furieuse d’énormes chiens, dressés par eux à faire bonne
garde, et bien autrement acharnés que loups ni ours ne furent jamais.
Les éclats de voix de leurs maîtres irritant leur férocité naturelle, ils se
ruent sur nous en bondissant de tous côtés à la fois, déchirent sans
distinction bêtes et gens, et finissent par mettre par terre une bonne
partie de notre monde. C’était vraiment une curieuse et non moins
lamentable scène, de voir ces dogues monstrueux, ici happant un
fuyard avec fureur, là luttant avec rage contre qui résiste, plus loin
s’acharnant sur les corps gisants, et bouleversant tout notre pauvre
convoi par leur rage et leurs morsures.
Au milieu de ce désarroi, un mal encore plus terrible vient fondre
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