Page 129 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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chevelure, perce de mille coups les yeux de Thrasylle, et ne cesse pas
         qu’elle ne les ait anéantis. Une incompréhensible douleur dissipe à
         l’instant chez lui le sommeil et l’ivresse.   Charité saisit alors et tire du
         fourreau l’épée que portait habituellement Tlépolème, et se précipite à
         travers la ville d’une course furibonde. Sans doute elle médite encore
         quelque exécution sanglante. Elle va droit au tombeau de son époux.
         Nous quittons le logis pour la suivre, et toute la ville en fait autant. On
         s’exhortait  l’un  l’autre  à  arracher  le  fer  de  ses  mains  forcenées.
         Charité  est  debout  près  du  cercueil  de  Tlépolème.  De  son  glaive
         étincelant elle écarte tout le monde, et voyant la foule qui pleure et se
         lamente : Assez, dit-elle, de ce deuil déplacé ! ma vertu n’a que faire
         de vos larmes.   Je suis vengée du meurtrier de mon époux ; mes mains
         ont puni le détestable ravisseur de ma félicité domestique. Il est temps
         de rejoindre là-bas mon Tlépolème, et ce fer va m’ouvrir le chemin.
            Elle raconte alors tout ce que son mari lui avait révélé en songe, et
         dans quel piège Thrasylle vient de tomber. Puis elle se plonge le fer
         sous  la  mamelle  droite,  se  renverse  baignée  dans  son  sang,      et,
         proférant encore quelques mots inarticulés, exhale son âme héroïque.
         Aussitôt le corps de l’infortunée est soigneusement lavé par sa famille,
         et religieusement confié au même tombeau qui rejoint pour toujours
         ces malheureux époux.   Quant à Thrasylle, quand il fut instruit de cette
         fin tragique, il comprit qu’il n’y avait pas de châtiment proportionné
         au  mal  dont  il  était  la  cause,  et  que  le  glaive  ne  pouvait  expier
         suffisamment son forfait. Il se fait transporter à leur tombeau.   Mânes
         irrités, s’écria-t-il à plusieurs reprises, la victime s’offre à vous. Puis,
         refermant sur lui les portes du monument, il se condamne à y périr de
         faim.
            Tel fut le récit du jeune homme, récit fréquemment interrompu par
         ses soupirs, et dont son rustique auditoire se montra très affecté. Leurs
         cœurs se serrent à ce désastre de la famille de leurs maîtres.
            Tel fut le récit du jeune homme, récit fréquemment interrompu par
         ses soupirs, et dont son rustique auditoire se montra très affecté. Leurs
         cœurs  se serrent  à ce désastre de la  famille de leurs maîtres.  Mais
         comme  la  propriété  va  passer  dans  d’autres  mains,  et  qu’ils
         appréhendent pour eux les suites d’un tel changement, ils se préparent
         à prendre la fuite.   Le chef du haras, l’honnête homme à qui l’on



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