Page 124 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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premier choc nos toiles impuissantes, et pousse au loin une percée.
Nous restâmes terrifiés ; nous n’avions, tous tant que nous étions,
vu que des chasses innocentes, et nul de nous n’avait arme ni défense
quelconque. Aussi ce fut à qui se blottirait dans le taillis, ou grimperait
au haut des arbres. Le sort servait Thrasylle à souhait. Il pouvait enfin
prendre son homme au piège. Voici quel insidieux langage il tint à
Tlépolème : Quelle peur nous a saisis ? Allons-nous aussi nous jeter
à plat ventre, à l’exemple de cette canaille ? Laisserons-nous en vraies
femmelettes une si belle proie s’échapper de nos mains ? Montons à
cheval, suivons la trace. Armez-vous d’un épieu ; je prends une lance.
Sans plus tarder, les voilà en selle, et suivant l’animal de tout le train
de leur monture. Celui-ci, fidèle à son instinct de férocité, tourne et
fait tête ; il semble par le mouvement de ses défenses interroger quel
ennemi il assaillira d’abord. Tlépolème le premier enfonce son arme
dans le dos du monstre ; mais Thrasylle, laissant le sanglier de côté,
dirige son coup sur le cheval de son ami, et lui coupe les jarrets de
derrière. Le coursier ploie sur ses cuisses en perdant tout son sang, se
renverse en arrière, et, malgré lui, désarçonne son cavalier. Le
sanglier furieux se rue sur son ennemi abattu, déchire ses vêtements,
et l’atteint lui-même d’une blessure profonde au moment où il essaye
de se relever. L’excellent ami n’éprouve aucun remords à cette vue sa
rage féroce ne sera pas satisfaite à si bon marché. Tandis que le blessé,
appelant son compagnon au secours, s’efforce d’étancher ses larges
plaies, le traître lui traverse la cuisse droite de sa lance, d’autant plus
résolument qu’il compte mettre les coups de sa main sur le compte des
dents du sanglier. En attendant, il achève sans peine l’animal.
Ainsi expira notre jeune maître. Nous osons enfin quitter nos
retraites, et nous accourons, la mort dans le cœur. Le perfide, au
comble de ses vœux et débarrassé d’un rival, dissimule cependant son
triomphe. Il compose ses traits, joue le désespoir ; il embrasse le
cadavre, triste ouvrage de ses mains, et enfin n’omet aucun des signes
d’une profonde douleur, aux larmes près qui ne voulurent pas couler.
Il réussit, par ses grimaces, à singer assez bien notre deuil, hélas ! trop
réel, et à rejeter sur le sanglier le crime du chasseur.
Le forfait à peine accompli, déjà la Renommée est en marche. Elle
frappe d’abord à la maison de Tlépolème, et arrive aux oreilles de sa
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