Page 120 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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cette violence ? Qu’est-ce à dire ? répondaient mes gens ; attends,
nous allons te faire des politesses, quand nous te surprenons volant
notre âne. Tu ferais mieux de nous dire ce que tu as fait de l’enfant qui
le conduisait, et que tu as tué sans doute et caché quelque part. Et là-
dessus, après l’avoir désarçonné, ils le renversent, et l’accablent de
coups de pied et de poing. Le malheureux, tout meurtri, jurait ses
grands dieux qu’il n’avait vu âme qui vive, et que, trouvant l’âne sans
cavalier et sans guide, il l’avait arrêté dans sa course, uniquement pour
le rendre à qui de droit, dans l’espoir d’une récompense. Plût aux
dieux, s’écria-t-il, que cet âne, que je me serais bien passé de
rencontrer, eût lui-même le don de la parole ! il attesterait mon
innocence, et vous auriez regret du traitement que vous me faites
essuyer.
Mais il eut beau protester, ces brutaux lui mirent une corde au cou
et nous ramenèrent ensemble vers cette montagne boisée où l’enfant
avait coutume d’aller chercher des fagots.
Du reste, les recherches qu’on fit de sa personne n’aboutirent qu’à
retrouver pièce à pièce les lambeaux dispersés de son corps. Pour
moi, il était hors de doute que c’étaient les dents de l’ours qui avaient
fait cette besogne, et j’aurais dit ce que j’en savais, si parler m’eût été
possible ; mais je me félicitai intérieurement (c’était tout ce que je
pouvais faire) de ce que, bien qu’un peu tard, l’heure de la vengeance
eût enfin sonné. Quand les divers lambeaux du cadavre eurent été
réunis et rajustés à grand-peine, on l’enterra sur les lieux mêmes. Pour
mon Bellérophon, voleur convaincu, meurtrier présumé, il fut conduit
au logis garrotté de la bonne manière. Leur intention était de le livrer
le lendemain aux magistrats, qui sauraient bien, disaient-ils, en obtenir
raison.
Cependant le père et la mère du jeune garçon en étaient à
sangloter, à se lamenter, quand, fidèle à sa promesse, arrive l’homme
à l’opération, insistant pour qu’il y fût procédé sans plus attendre ;
mais l’un d’eux lui dit : Nous avons aujourd’hui bien autre chose qui
nous occupe. Demain, soit ; que l’on coupe à cet âne maudit les
génitoires, et la tête par-dessus le marché : nous ne demandons pas
mieux, et chacun ici vous prêtera la main.
Mon supplice fut donc ainsi renvoyé au lendemain, et j’en adressai
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