Page 117 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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d’autre. Il me le jura plus d’une fois, et,   dans une circonstance, sa
         détestable malice alla encore plus loin. Un jour où la persécution avait
         triomphé  de  ma  patience,  je  lui  détachai  une  ruade  des  plus
         vigoureuses Or, voici de quelle vengeance il alla s’aviser :   il me met
         sur  le  dos  un  fort  paquet  d’étoupes,  solidement  assujetti  avec  des
         ficelles, et me chasse devant lui ; puis il entre dans la première ferme,
         y dérobe un charbon, qu’il fourre tout allumé au milieu de ma charge.
         Le feu couve quelque temps dans ce foyer combustible, et bientôt la
         flamme éclate, et m’enveloppe tout entier du plus formidable incendie.
         Où fuir ? quelle chance de salut ? Avec un tel ennemi à ses trousses, a-
         t-on le temps de la réflexion ?
            Dans cette extrémité toutefois, la Fortune daigna me sourire. Peut-
         être  avait-elle  pour  moi  d’autres  épreuves  en  réserve :  du  moins
         m’enleva-t-elle cette fois à une mort imminente et calculée de sang-
         froid.   Il avait plu la veille dans les environs, et il s’y était formé une
         mare fangeuse La voir, y courir, m’y plonger tout entier, fut l’affaire
         d’un moment. Cette immersion éteignit le feu et me délivra de ma
         charge, aussi bien que d’un affreux trépas.   Mais, ô l’effronté petit
         monstre ! n’alla-t-il pas  tourner son  méfait contre moi ?  Il  jura ses
         grands dieux, à ses camarades de service, que, passant près d’un feu
         que des voisins avaient allumé, je m’étais volontairement laissé choir,
         de manière à mettre ma charge en contact avec les charbons. Puis,
         éclatant de rire à mon nez, il ajouta : On est bien bon de nourrir chez
         soi un pareil boutefeu !   Quelques jours ne se passèrent pas sans qu’il
         ourdît contre moi une machination bien autrement perfide. Il vendit le
         bois que je portais à la première chaumière qu’il rencontra, et, me
         ramenant à vide, il se met à crier, à qui veut l’entendre, qu’il ne peut
         plus venir à bout d’un aussi méchant animal, et qu’il renonce à un
         métier comme celui de me conduire. Or, voici quel tour il donnait à
         son accusation.
            Vous voyez cette bête paresseuse, cette lâche bourrique ; je ne parle
         pas de tous les tours qu’il me joue à moi directement, mais apprenez
         un peu à quels dangers il m’expose.   D’aussi loin qu’il aperçoit femme
         bien tournée, fillette en âge ou jeune garçon, zeste ! la charge est de
         côté, et quelquefois le bât. Et voilà ce galant de nouvelle façon qui
         s’attaque tout en rut à des créatures humaines, qui les renverse, et qui,



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