Page 122 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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VIII






            Le lendemain, au chant du coq, arriva de la ville un jeune homme
         qui  me  parut  être  au  service  de  Charité,  ma  jeune  compagne
         d’infortune dans la caverne des voleurs.   Sa maîtresse était morte, et
         d’étranges malheurs étaient venus fondre sur cette maison. Voici en
         quels termes il en fit le récit au coin du feu, devant un cercle de ses
         camarades.   Palefreniers, bouviers et pâtres, leur dit-il, l’infortunée
         Charité n’est plus : sa fin a été tragique, mais elle n’est pas descendue
         seule chez les Mânes.   Afin de me faire mieux comprendre, je vais
         remonter à l’origine des faits : pour un plus habile et doué du talent
         d’écrire, il y aurait un livre à faire de l’aventure que je vais vous conter.
              Il y avait à la ville un jeune homme de très bonne famille, d’un
         rang distingué, et jouissant d’une fortune considérable ; mais gâté par
         la fréquentation des tavernes, le commerce des filles de joie et l’usage
         immodéré du vin. Conduit par ces déplorables habitudes à faire société
         avec des voleurs, il avait pris part à leurs actes de violence, jusqu’à
         tremper ses mains dans le sang ; on le nommait Thrasylle. Tel était le
         caractère de l’homme ; sa réputation était à l’avenant.
            À l’époque où Charité était devenue nubile, il fut des premiers à
         prétendre à sa main, et il montra dans sa poursuite une ardeur extrême ;
         mais, bien qu’il éclipsât tous ses rivaux par ses avantages, et qu’il eût
         cherché par de riches cadeaux à se faire bien venir des parents, on
         s’effraya de ses moeurs, et il essuya l’affront d’un refus :   notre jeune
         maîtresse passa dans les bras du vertueux Tlépolème ; mais la passion
         de Thrasylle ne fit  que  s’accroître par la préférence accordée  à un
         autre, et le dépit de se voir éconduit lui inspira la pensée d’un crime.
         Son plan fut médité de longue main ; mais il lui fallait un prétexte pour
         reparaître dans la famille.   L’occasion s’en présenta le jour où la jeune
         fille, grâce à l’adresse et au courage de son fiancé, se vit tirée des
         mains des brigands. Thrasylle vint se mêler à la foule joyeuse, s’y fit
         remarquer par l’empressement de ses félicitations ;   il complimenta
         les heureux époux sur leur délivrance, et leur tira l’horoscope d’une
         longue lignée. Par honneur pour sa noble maison, on le mit au premier



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