Page 116 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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de mes pieds sur les souches et les cailloux dont ma route était
hérissée ; il me fallait encore essuyer une grêle incessante de coups de
bâton dont le drôle me labourait l’échine, et dont je ressentais la
douleur jusqu’à la moelle des os. Il avait la méchanceté d’adresser
les siens constamment à la cuisse droite ; si bien que, frappant toujours
à la même place, il avait fini par entamer le cuir. Puis le mal était
devenu d’écorchure plaie, de plaie trou, et de trou fenêtre. Et
cependant le bourreau ne cessait de frapper sur la déchirure toute
saignante. Ajoutez qu’il exagérait ma charge à faire croire que cette
masse de fagots était destinée non pas à un âne, mais à un éléphant.
Un excès de poids d’un côté faisait-il pencher la charge ? au lieu de la
diminuer de ce qui menaçait ruine et de me soulager d’autant, ou de
faire passer du moins quelque morceau de l’autre côté, il ajoutait des
pierres pour rétablir l’équilibre.
Ce n’est pas tout : après m’avoir si impitoyablement écrasé sous le
faix, s’il arrivait que nous eussions un cours d’eau à traverser, l’enfant
soigneux n’avait garde de mouiller ses guêtres ; il se campait sur mes
reins de plein saut. Faible addition, me direz-vous, eu égard à
l’énormité de la charge. Oui ; mais si, rencontrant à l’autre bord une
rampe tant soit peu roide, ou rendue glissante par le limon, je venais à
m’abattre en essayant vainement de la franchir avec mon fardeau,
croyez-vous que mon excellent guide prît la peine de me relever la tête
avec la bride, de me soulever par la queue, ou enfin de soulager mon
dos, pour m’aider à me remettre sur pieds ? Non ; je n’avais aucun
secours à attendre ; mais armé d’un énorme bâton, il me rondinait de
tête en queue, en commençant par les oreilles, tant et si bien qu’aucun
cordial ne m’eût plus vite ranimé. Voici encore un de ses tours. Il se
procura un jour des épines très piquantes à pointes vénéneuses, qu’il
tortilla en faisceau en forme de boule ; et il m’attacha à la queue cet
appendice aiguillonnant, que chaque pas mettait en mouvement pour
mon supplice.
Le mécanisme était à double fin ; car dès que je prenais ma course
pour échapper à mon persécuteur, cette allure accélérée redoublait
l’énergie des piqûres, et dès que je m’arrêtais pour faire trêve à mon
tourment, le bâton me forçait à reprendre ma course. En somme, ce
petit scélérat n’avait d’autre idée que de me faire périr de façon ou
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