Page 101 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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pas quelques-uns des plus résolus de se montrer impatients de repartir.
Ils avaient à rapporter, disaient-ils, un reste de leur prise qui était resté
caché dans une caverne. Les blessés pouvaient demeurer au logis et
panser leurs plaies. Là-dessus, ils dévorent à la hâte leur dîner, et les
voilà qui repartent, nous emmenant mon cheval et moi, et ne nous
épargnant point le bâton. Après avoir tourné, viré, monté, descendu
cent et cent fois, nous arrivons vers le soir à une caverne. On nous
charge de quantité de paquets, et, sans nous laisser souffler, on nous
fait retourner sur nos pas en toute hâte. Leur précipitation était telle,
qu’à force de me rouer de coups, ils me firent donner contre une pierre
placée le long du chemin, et je m’abattis. Une grêle de coups me fit
relever à grand-peine, tout éclopé de la jambe droite et du sabot
gauche.
L’un d’eux se mit à dire : À quoi bon nourrir plus longtemps ce
baudet éreinté, et que voilà boiteux par-dessus le marché ? Sur ma
parole, reprit un autre, depuis que cette malencontreuse rosse a mis le
pied chez nous, rien ne nous a réussi. Nous avons gagné force horions
et perdu les meilleurs de notre monde. Ce dont je puis répondre,
ajoute un troisième, c’est qu’aussitôt qu’il aura tant bien que mal
rapporté son bagage à notre montagne, je l’en ferai dégringoler la tête
la première, pour faire fête aux vautours. Mes doux maîtres
discouraient encore sur l’espèce de mort qu’ils me réservaient, que
déjà nous arrivions à la caverne ; car la peur m’avait donné des ailes.
En un clin d’œil les fardeaux sont à bas, et, sans plus s’inquiéter que
je vive ou que je meure, ils s’adjoignent leurs camarades blessés et
terminent le transport à bras, ennuyés, disaient-ils, de la lenteur de
leurs bêtes de somme. Cependant mon inquiétude n’était pas
médiocre en songeant aux menaces dont j’avais été l’objet. Eh bien !
Lucius, me disais-je, qu’attends-tu ? ces brigands ont décidé ta mort,
une mort affreuse, et les préparatifs en seront bientôt faits. Tu vois ces
angles saillants, ces pointes de rochers. Tes membres vont être en
pièces avant de toucher le sol ; car, avec toute ta magie, tu as bien su
prendre de l’âne sa forme et ses misères, mais non son cuir épais ; ton
épiderme est toujours aussi mince que celui d’une sangsue. Que ne
prends-tu quelque parti énergique pour ta délivrance, tandis qu’elle est
possible ? L’occasion est des plus belles. Cette vieille n’a que le
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