Page 103 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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lave jamais, je veux, à force de soin, les rendre nettes et luisantes :   tu
         auras des colliers d’or, un harnais relevé en bossettes d’or ; tu brilleras
         de tous les feux du firmament ; tu ne marcheras qu’en triomphe, au
         milieu  des  acclamations  publiques ;  chaque  jour  tu  t’engraisseras
         d’amandes et de friandises, offertes de ma propre main dans un tablier
         de soie.
            C’est peu d’une nourriture exquise, d’un complet repos, de toutes
         les douceurs de l’existence : je veux que ta vie soit embellie encore par
         les honneurs et la gloire.   Je veux, par un durable monument, perpétuer
         le souvenir de cette aventure, et de ma gratitude pour la bonté des
         dieux. Dans le vestibule de ma demeure, un tableau votif retracera
         l’image de notre fuite.   On verra figurée, on entendra raconter, on lira
         dans  les  beaux  livres,  jusqu’à  la  postérité  la  plus  reculée,  la  naïve
         histoire  de  La  jeune  princesse  délivrée  de  captivité  par  un  âne.
         L’antiquité te comptera au nombre de ses  merveilles ;  ton  exemple
         rendra croyable, et le transport de Phryxus à dos de bélier, et le dauphin
         discipliné par Arion, et le taureau s’offrant pour monture à Europe.
         Jupiter a bien pu mugir sous la forme d’un bœuf : qui sait si sous cette
         figure d’âne ne se cachent pas les traits d’un homme, d’un dieu peut-
         être ?   Tandis que la jeune fille exprimait ainsi des œuvre entremêlés
         de fréquents soupirs, nous arrivons à un carrefour. Là, s’emparant de
         la bride, elle s’efforce de me faire tourner à droite, parce que c’était le
         chemin qui conduisait chez ses parents.   Moi qui savais que c’était
         dans cette direction que les voleurs étaient allés chercher le reste de
         leur  butin,  je  résistais  de  toutes  mes  forces,  en  lui  adressant  cette
         supplication muette : Que fais-tu, malheureuse enfant ? que fais-tu ?
         c’est te précipiter dans un abîme. Où veux-tu me conduire ? Tu vas
         consommer du même coup ta perte et la mienne.   Pendant que nous
         étions là, chacun tirant à soi, comme dans une question de propriété
         ou de bornage, bien qu’il ne s’agît au fond que de prendre à droite ou
         à  gauche,  nous  voilà  tout  à  coup  face  à  face  avec  les  voleurs  qui
         revenaient chargés de leur butin. Ils nous avaient reconnus de loin au
         clair de la lune, et salués de leurs risées.
            L’un d’eux nous apostrophe en ces termes : Où donc allez-vous si
         vite à pareille heure ? Vous ne craignez pas les Larves ni les Mânes
         dans vos excursions nocturnes ?   L’honnête fille va sans doute voir



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