Page 104 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 104
ses chers parents en cachette ? Eh bien ! nous allons lui donner bonne
compagnie, lui montrer le plus court chemin. Le geste suit ; et, d’une
main saisissant mon licou, le voleur m’oblige à rebrousser chemin, non
sans me faire renouveler connaissance avec le bâton noueux qu’il
tenait de l’autre. Ainsi piteusement revenu à la perspective d’une mort
certaine, je me rappelle tout à coup mon mal de pied, et je recommence
à boiter en hochant de la tête. Oh ! oh ! dit celui qui venait de me faire
faire volte-face, te voilà clopinant et chopant de nouveau. Ces pieds
pourris, qui savent si bien fuir, ne sauraient marcher, Tout à l’heure tu
aurais défié les ailes de Pégase. Pendant cette aimable plaisanterie,
qu’accompagnait le jeu de son bâton, nous arrivons à la palissade
extérieure de la caverne. Là nous vîmes la vieille pendue à la branche
élevée d’un haut cyprès. Ils la détachent, et, sans se donner la peine
d’ôter la corde qui lui serrait le cou, la jettent au fond d’un précipice.
Ensuite, après avoir garrotté la jeune fille, ils se jettent en loups
affamés sur le repas que le zèle posthume de la malheureuse vieille
avait préparé pour eux.
Tout en le dévorant, mes gloutons se mettent à délibérer sur notre
châtiment et leur vengeance. Comme dans toute assemblée turbulente,
chacun eut son avis. Celui-ci opinait pour que la patiente fût brûlée
vive, celui-là conseillait de la livrer aux bêtes féroces, un troisième
voulait qu’elle fût mise en croix. Un quatrième proposait de la
démembrer par la torture. Du reste, le scrutin fut unanime pour la
peine de mort. Alors un de la bande requiert le silence, et s’exprime
posément comme il suit : Nos principes, notre mansuétude à tous, ma
modération personnelle, répugnent à la cruauté, à l’exagération des
supplices. Point de bêtes féroces, point de gibet, point de bûcher, point
de tenailles. Je ne voudrais même d’aucun de ces moyens violents qui
précipitent la mort. Si vous m’en croyez, vous laisserez vivre cette
jeune fille, mais de la vie qu’elle mérite. Vous n’avez pas sans doute
oublié votre résolution bien prise à l’égard de ce baudet, si paresseux
à l’ouvrage, si diligent au râtelier, qui maintenant fait l’éclopé, après
avoir été l’agent et le complice de cette malheureuse. Que demain
donc sans plus tarder on lui coupe le cou, qu’on lui ouvre le ventre, et
qu’après en avoir retiré les entrailles, on y enferme cette créature qu’il
nous a préférée ; qu’on l’y couse comme dans un sac, de manière à
104