Page 99 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 99

Psyché, se répand comme un voile épais sur tous ses membres, et la
         terrasse au milieu du chemin,   où elle reste étendue dans l’immobilité
         du sommeil ou plutôt de la mort.
            Cependant la blessure de Cupidon s’était cicatrisée. La force lui
         était  revenue,  et  avec  elle  l’impatience  de  revoir  sa  Psyché.  Il
         s’échappe à travers l’étroite fenêtre de sa prison.   Ses ailes rafraîchies
         et reposées le transportent en un clin d’œil près de son amante. Il la
         dégage avec soin du sommeil qui l’oppresse, et qu’il replace dans sa
         boîte. Puis, de la pointe d’une de ses flèches, il touche légèrement
         Psyché et la réveille :   Eh quoi ! malheureuse enfant, encore cette
         curiosité qui te perd ! Allons, hâte-toi de t’acquitter de la commission
         de ma mère ; moi, j’aviserai au reste. À ces mots, l’amant ailé reprend
         son  vol,  et  Psyché  se  dépêche  de  porter  à  Vénus  le  présent  de
         Proserpine.
            Cependant  Cupidon,  que  sa  passion  dévore  et  qui  craint,  à  l’air
         courroucé de sa mère, que la Sagesse ne vienne à se mettre de la partie,
         se résout à tenter les grands moyens. De son aile rapide il perce la
         voûte  des  cieux,  va  présenter  requête  à  Jupiter,  et  plaide  sa  cause
         devant lui.   Le maître des dieux pince doucement ses petites joues, les
         attire près de ses lèvres, les baise, et lui dit :   Monsieur mon fils, vous
         n’avez  guère  respecté  en  moi  la  suprématie  déférée  par  le
         consentement des dieux : de moi le régulateur des éléments, le moteur
         des révolutions célestes, vous avez fait le point de mire ordinaire de
         vos  flèches.  Vous  m’avez  compromis  dans  je  ne  sais  combien
         d’intrigues  amoureuses  avec  des  mortelles.      En  dépit  des  lois,
         notamment  de  la  loi  Julia  et  de  toute  morale  publique,  vous  avez
         chargé  ma  conscience,  aussi  bien  que  ma  réputation,  d’assez
         scandaleux  adultères.  Flamme,  serpent,  oiseau,  bête  des  bois,  bête
         d’étable ;  il  n’est  métamorphose  ignoble  où  vous  n’ayez  ravalé  la
         majesté de mes traits ;   mais je veux être débonnaire, et me rappeler
         seulement  que  vous  avez  grandi  entre  mes  bras.  J’accède  à  votre
         requête ;  mais  arrangez-vous  pour  qu’elle  ne  se  renouvelle  pas.
         D’autre part, en revanche, s’il se montre là-bas quelques minois hors
         de ligne, souvenez-vous que vous me devez une compensation. Il dit,
         et  ordonne  à  Mercure  de  convoquer  à  l’instant  tout  le  conseil  des
         dieux, sous peine pour chaque immortel absent d’une amende de dix



                                          99
   94   95   96   97   98   99   100   101   102   103   104