Page 98 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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et vous passerez outre. Vous pénétrerez ainsi jusqu’à Proserpine, qui
         vous fera le plus aimable accueil, vous engagera à vous asseoir et à
         prendre part à un somptueux festin ;   mais ne vous asseyez que par
         terre, et n’acceptez d’autre aliment que du pain noir. Vous exposerez
         ensuite  l’objet  de  votre  mission,  et  vous  prendrez  ce  qu’elle  vous
         donnera. Cela fait, retournez sur vos pas.   Vous vous rachèterez encore
         de la gueule du chien au prix de votre second gâteau. Vous repasserez
         le fleuve, en livrant à l’avare nautonier votre autre pièce de monnaie ;
         vous reprendrez le chemin que vous aurez suivi en venant, et vous
         reverrez ainsi la voûte céleste :   mais, sur toutes choses, ne vous avisez
         pas d’ouvrir la boite qui vous aura été confiée, et de porter les yeux
         sur ce qu’elle renferme. Point de regard curieux sur ce trésor secret de
         la beauté divine.
            Ainsi parla cette tour prévoyante en véritable oracle. Psyché dirige
         aussitôt ses pas vers le Ténare. Munie de ses deux oboles et de ses
         deux gâteaux, elle descend rapidement le sentier souterrain ;   passe,
         sans mot dire, devant l’ânier boiteux ; donne le péage au nocher, reste
         sourde aux instances du mort qui surnage ; ne tient compte de l’appel
         insidieux des tisseuses ; et, après avoir endormi, en lui abandonnant
         son gâteau, la rage du gardien infernal, elle pénètre dans la demeure
         de Proserpine.   En vain son hôtesse lui offre un siège douillet, des
         mets délicats ; elle persiste à s’asseoir à ses pieds sur la terre, et à
         n’accepter  qu’un  morceau  de  pain  grossier.  C’est  en  cette  posture
         qu’elle  s’acquitte  du  message  de  Vénus.      La  boîte  au  contenu
         mystérieux lui est remise hermétiquement close ; et, après avoir de
         nouveau  fermé  la  gueule  de  l’aboyeur  avec  le  second  gâteau,
         désintéressé le nocher avec la seconde obole, elle quitte les enfers plus
         gaillardement qu’elle n’y était descendue,   et elle revoit et adore la
         blanche  lumière  des  cieux ;  mais,  tout  empressée  qu’elle  est  de
         terminer sa mission, une curiosité téméraire s’empare de son esprit.
         En vérité, se dit-elle, je serais bien simple, moi qui porte la beauté des
         déesses, de n’en pas retenir un peu pour mon usage, quand ce serait
         peut-être le moyen de ramener le charmant objet que j’adore.
            En  disant  ces  mots,  elle  ouvre  la  boîte.  De  beauté  point ;  objet
         quelconque ne s’y montre : mais à peine le couvercle est-il soulevé,
         qu’une vapeur léthargique, enfant de l’Érèbe, s’empare des sens de



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