Page 95 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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Psyché  ne  se  vit  pas  mieux  accueillie  après  le  succès  de  cette
         seconde épreuve. Vénus, fronçant le sourcil, dit avec un sourire amer :
         Toujours la même protection frauduleuse ! Mais je vais faire un essai
         décisif de ce courage si ferme et de cette conduite si prudente.   Vois-
         tu ce rocher qui se dresse au sommet de cette montagne escarpée ? Là
         jaillit une source dont les eaux noirâtres, recueillies d’abord dans le
         creux d’un vallon voisin, se répandent ensuite dans les marais du Styx,
         et vont grossir les rauques ondes du Cocyte.   Tu iras au jet même de
         la source puiser de son onde glaciale, et tu me la rapporteras dans cette
         petite  bouteille.  Elle  dit,  et  lui  remet  un  flacon  de  cristal  poli,  en
         accompagnant l’injonction des plus terribles menaces.
            Psyché hâte le pas pour gagner le sommet du mont, croyant bien
         cette fois y trouver le terme de sa misérable existence. Arrivée au haut,
         elle voit toute l’étendue et la mortelle difficulté de sa tâche, et quels
         périls il lui faut surmonter.   En effet, le rocher s’élevait à une hauteur
         effroyable, et c’était à travers ses  flancs abrupts, d’un escarpement
         inaccessible, que l’onde formidable trouvait passage. Elle s’échappait
         par une foule de crevasses, d’où elle glissait perpendiculairement, et
         s’encaissait  ensuite  dans  une  rigole  étroite  et  profonde,  qui  la
         conduisait inaperçue jusqu’au fond du vallon.   Du creux des rocs qui
         enfermaient ses deux rives, on voyait s’allonger de droite et de gauche
         d’affreuses  têtes  de  dragons  aux  paupières  immobiles,  aux  yeux
         constamment ouverts ; gardiens terribles et qui ne s’endorment ni ne
         se laissent gagner.   De plus, ces eaux étaient parlantes et savaient se
         défendre  elles-mêmes :  Arrière !  Que  fais-tu ?  où  vas-tu ?  Prends
         garde ! fuis ! Tu mourras ! Tels étaient les avertissements qu’elles ne
         cessaient  de  faire  entendre.      Psyché  resta  pétrifiée  en  voyant
         l’impossibilité de sa tâche. Présente de corps, elle est absente par ses
         sens.
            Accablée par la conscience de son danger, elle n’a pas même la
         triste ressource des larmes ; mais une providence tutélaire veillait sur
         cette  âme  innocente.  Le  royal  oiseau  de  Jupiter,  l’aigle  aux  serres
         ravissantes, parut tout à coup, déployant ses grandes ailes.   Il n’a pas
         oublié combien il fit autrefois sa cour au souverain des dieux par le
         rapt de ce jeune Phrygien qui lui sert à boire, et que ce fut Cupidon lui-
         même qui l’inspira. Des hauteurs de l’Olympe, il vient offrir bien à



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