Page 90 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 90

malheureuse Psyché qui vous supplie ;   souffrez que je me cache pour
         quelques jours dans cet amas d’épis. Ou ce temps suffira pour calmer
         le  courroux  de  ma  redoutable  ennemie,  ou  je  pourrai  du  moins
         retrouver mes forces, épuisées par tant de fatigues. Cérès lui répond :
         Je  suis  touchée  de  tes  prières  et  de  tes  larmes,  et  je  voudrais  te
         secourir ; mais Vénus est ma parente ; c’est une ancienne amie, bonne
         femme d’ailleurs, que je ne veux en rien contrarier.   Il te faut donc
         sortir à l’instant de ce temple ; et sache-moi gré de ne pas t’y retenir
         prisonnière.
              Refusée contre son espoir, Psyché s’éloigne, emportant dans son
         cœur un chagrin de plus. Elle revenait tristement sur ses pas, quand
         son œil plongeant au fond d’un vallon, découvre un autre temple, dont
         l’élégante architecture se dessinait dans le demi-jour d’un bois sacré.
         Décidée à ne négliger aucune chance, même douteuse, de salut, et à se
         mettre sous la protection d’une divinité quelconque, elle s’avance vers
         l’entrée  de  l’édifice.      Là  se  présentent  à  sa  vue  les  plus  riches
         offrandes.  Aux  portes  sacrées,  ainsi  qu’aux  arbres  environnants,
         étaient  suspendues  des  robes  magnifiques ;  et  sur  leur  tissu  la
         reconnaissance avait brodé en lettres d’or, avec le nom de la déesse, le
         sujet de chaque action de grâces qu’on lui rendait. Psyché fléchit le
         genou, embrasse l’autel tiède encore, et, après avoir essuyé ses larmes
         elle fait cette prière :
            Épouse et sœur du grand Jupiter, toi qui habites un temple antique
         dans cette Samos, si fière d’avoir entendu tes premiers vagissements
         et  de  t’avoir  vu  presser  le  sein  de  ta  nourrice ;  toi  que  l’altière
         Carthage, aux opulentes demeures, honore sous les traits d’une vierge
         traversant les airs avec un lion pour monture ;   toi qui, sur les bords
         que  l’lnachus  arrose,  présides  aux  murs  de  la  célèbre  Argos  qui
         t’adore ; et toi, la reine des déesses, l’épouse du maître du tonnerre ;
         toi que l’Orient vénère sous le nom de Zygie, et qu’invoque l’Occident
         sous celui de Lucine ; ah ! montre-toi pour moi Junon protectrice ! La
         fatigue m’accable ; daigne me préserver des dangers qui me menacent.
         Jamais, je le sais, tu ne refusas ta protection aux femmes sur le point
         d’être mères.
              Pendant cette invocation, Junon lui apparaît dans tout l’éclat de la
         majesté céleste. Je ne demanderais pas mieux, dit-elle, que d’accueillir



                                          90
   85   86   87   88   89   90   91   92   93   94   95