Page 88 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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Elle dit, et sort furieuse, tout en continuant d’exhaler sa bile. Elle
est accostée par Junon et Cérès, qui, la voyant le teint allumé, lui
demandent pourquoi ce sourcil froncé qui obscurcit le brillant de ses
yeux. Je vous rencontre à propos, leur dit-elle : la colère pourrait me
porter à quelque excès ; mais, je vous en conjure, aidez-moi de tous
vos efforts à retrouver cette Psyché qui s’est enfuie, envolée je ne sais
où ; car vous n’en êtes pas à apprendre le scandale de ma maison, et
les hauts faits de celui que je ne veux plus appeler mon fils.
Les deux déesses, bien instruites de l’aventure, essayent d’apaiser
la grande colère de Vénus. Mais, madame, qu’a donc fait votre fils,
pour motiver cet acharnement contre lui, et cette hostilité si violente
contre celle qu’il aime ? Où est le crime, s’il vous plaît, de faire les
yeux doux à une jolie fille ? Vous n’ignorez pas qu’il est garçon sans
doute, et, de plus, grand garçon ? Auriez-vous oublié la date de sa
naissance ? ou, parce qu’il porte si gentiment ses années vous
obstinez-vous à le voir toujours enfant ? Vous, sa mère, vous, femme
de sens, vous iriez d’un œil curieux épier ses amusements, lui faire un
crime de ses petites fredaines, contrecarrer ses amourettes, et
condamner enfin, dans ce beau jouvenceau, vos propres gentilles
pratiques, et les doux passe-temps que vous ne vous refusez pas ?
Singulière prétention, d’aller semant l’amour partout, et de le prohiber
dans vos domaines ! d’exclure vos enfants du droit commun de
prendre part aux faiblesses du beau sexe ! Ah ! l’on ne vous la passera
pas, ni au ciel, ni sur la terre. Ainsi les officieuses déesses prennent
la défense de l’absent, dont elles redoutent les flèches ; mais Vénus,
qui n’entend pas raillerie sur les torts dont elle se plaint, leur tourne le
dos, et précipite ses pas vers la mer.
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