Page 83 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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plonger dans son sein ;   et l’effet eût suivi l’intention, si le poignard,
         comme  effrayé  de  se  rendre  complice  de  l’attentat,  n’eût  échappé
         soudain de sa main égarée. Elle se livre au désespoir ; mais elle regarde
         pourtant, et regarde encore les traits merveilleux de cette divine figure,
         et se sent comme renaître à cette contemplation.   Elle admire cette tête
         radieuse, cette auréole de blonde chevelure d’où s’exhale un parfum
         d’ambroisie,  ce  cou  blanc  comme  le  lait,  ces  joues  purpurines
         encadrées de boucles dorées  qui  se partagent  gracieusement sur ce
         beau front, ou s’étagent derrière la tête, et dont l’éclat éblouissant fait
         pâlir la lumière de la lampe.   Aux épaules du dieu volage semblent
         pousser deux petites ailes, d’une blancheur nuancée de l’incarnat du
         cœur d’une rose. Dans l’inaction même, on voit palpiter leur extrémité
         délicate, qui jamais ne repose.   Tout le reste du corps joint au blanc le
         plus uni les proportions les plus heureuses. La déesse de la beauté peut
         être fière du fruit qu’elle a porté.
            Au pied du lit gisaient l’arc, le carquois et les flèches, insignes du
         plus puissant des dieux. La curieuse Psyché ne se lasse pas de voir, de
         toucher, d’admirer en extase les redoutables armes de son époux. Elle
         tire du carquois une flèche, et, pour en essayer la trempe, elle en appuie
         le bout sur son pouce ; mais sa main, qui tremble en tenant le trait,
         imprime  à  la  pointe  une  impulsion  involontaire.  La  piqûre  entame
         l’épiderme, et fait couler quelques gouttes d’un sang rosé.   Ainsi, sans
         s’en douter, Psyché se rendit elle-même amoureuse de l’Amour. De
         plus en plus éprise de celui par qui l’on s’éprend, elle se penche sur lui
         la bouche ouverte, et le dévore de ses ardents baisers. Elle ne craint
         plus qu’une chose, c’est que le dormeur ne s’éveille trop tôt.   Mais
         tandis qu’ivre de son bonheur, elle s’oublie dans ces transports trop
         doux, la lampe, ou perfide, ou jalouse, ou (que sais-je ?) impatiente de
         toucher aussi ce corps si beau, de le baiser, si j’ose le dire, à son tour,
         épanche  de  son  foyer  lumineux  une  goutte  d’huile  bouillante  sur
         l’épaule droite du dieu.   O lampe maladroite et téméraire ! ô trop
         indigne ministre des amours ! faut-il que par toi le dieu qui met partout
         le feu connaisse aussi la brûlure ! par toi, qui dus l’être sans doute au
         génie de quelque amant jaloux des ténèbres, et qui voulait leur disputer
         la présence de l’objet adoré !
              Le dieu brûlé se réveille en sursaut. Il voit le secret trahi, la foi



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