Page 82 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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mesures pour mettre à fin la généreuse entreprise.   Saisis alors l’arme
         à  deux  tranchants,  lève  hardiment  le  bras,  frappe  le  monstre  sans
         hésiter à la jointure du cou et de la tête, et tu feras de son corps deux
         tronçons.   Notre assistance ne te manquera pas. Aussitôt que par sa
         mort  tu  auras  opéré  ta  délivrance,  nous  serons  à  tes  côtés.  Nous
         t’emmènerons avec nous, sans oublier toutes ces richesses, et, par un
         hymen de ton choix, nous t’unirons, toi créature humaine, à un être qui
         soit de l’humanité.
            (V, 21, 1) Quand elles crurent avoir assez attisé le feu dans le cœur
         de Psyché par ce langage incendiaire, elles se hâtent de s’esquiver,
         redoutant  fort  pour  leurs  personnes  la  proximité  du  théâtre  de  la
         catastrophe.   Elles font, comme à l’ordinaire, l’ascension du rocher
         sur les ailes du vent. Puis, courant à toutes jambes vers leur vaisseau,
         elles s’embarquent, et quittent le pays.
              Psyché  reste  livrée  à  elle-même,  c’est-à-dire  obsédée  par  les
         Furies.  Le  trouble  de  son  cœur  est  celui  d’une  mer  orageuse.  Son
         dessein est arrêté, elle s’y obstine ; et ses mains déjà s’occupent des
         sinistres préparatifs, que son âme doute et flotte encore. Les émotions
         s’y  combattent :      Tour  à  tour  elle  veut  et  ne  veut  pas,  menace  et
         tremble, s’emporte et mollit. Pour tout dire en un mot, dans le même
         individu elle déteste un monstre, elle adore un époux. Cependant le
         soir  est  venu ;  la  nuit  va  suivre.  Elle  s’occupe  à  la  hâte  des
         préliminaires du forfait.
            Il  est  nuit. L’époux  est  à son poste.  Il  livre un  premier  combat,
         prélude  de  sa  campagne  nocturne,  puis  s’endort  d’un  sommeil
         profond.
            La force abandonne alors Psyché ; le cœur lui manque. Mais le sort
         a prononcé, le sort est impitoyable, son énergie revient. Elle avance la
         lampe, saisit son poignard. Adieu la timidité de son sexe.   Mais à
         l’instant  la  couche  s’illumine,  et  voilà  ses  mystères  au  grand  jour.
         Psyché voit (quel spectacle !) le plus aimable des monstres et le plus
         privé,  Cupidon  lui-même,  ce  dieu  charmant,  endormi  dans  la  plus
         séduisante attitude. Au même instant la flamme de la lampe se dilate
         et pétille, et le fer sacrilège reluit d’un éclat nouveau.   Psyché reste
         atterrée  à  cette  vue,  et  comme  privée  de  ses  sens.  Elle  pâlit,  elle
         tremble, elle tombe à genoux. Pour mieux cacher son fer, elle veut le



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