Page 81 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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voix, dans ces amours clandestins, dans ces caresses nauséabondes et
         empoisonnées, dans cet accouplement avec un reptile ? Soit. Du moins
         nous aurons fait notre devoir en bonnes sœurs.
              La pauvre Psyché, dans sa candide inexpérience, reçut comme un
         coup de foudre cette formidable révélation. Sa tête s’égara ; tout fut
         oublié, les avertissements de son mari, ses propres promesses ;   et elle
         alla donner tête baissée dans l’abîme ouvert sous ses pas. Ses genoux
         fléchissent,  la  pâleur  de  la  mort  couvre  son  visage,  et  ses  lèvres
         tremblantes livrent à peine passage à ces mots entrecoupés :
            Chères sœurs, je n’attendais pas moins de votre affection si tendre.
         Oui, je ne vois que trop de vraisemblance dans les rapports que l’on
         vous a faits.   Effectivement je n’ai jamais vu mon époux ; je ne sais
         d’où il vient ; sa voix ne se fait entendre que la nuit ; il ne me parle
         qu’à  l’oreille ;  il  fuit  soigneusement  toute  lumière.  C’est  quelque
         monstre, dites-vous ? je n’hésite pas à le croire ;   car il n’est peur qu’il
         ne me fasse de sa figure et des terribles conséquences de ma curiosité,
         au cas où je chercherais à le voir.   Si votre assistance peut conjurer un
         tel danger, ah ! ne me la refusez pas. Que sert de protéger, si l’on ne
         protège jusqu’au bout ?
              Les deux scélérates voient la brèche ouverte. Elles démasquent
         alors leur attaque, se ruent sur le corps de la place, et exploitent à force
         ouverte les terreurs de la simple Psyché. L’une d’elles lui parle ainsi :
         Il s’agit de te sauver. Les liens du sang nous obligent à fermer les yeux
         sur  nos  propres  périls.  Un  seul  moyen  se  présente ;  nous  l’avons
         longtemps médité.   Écoute ; prends un poignard bien aiguisé, donne-
         lui le fil encore, en passant doucement la lame sur la paume de ta
         main ; puis va le cacher soigneusement dans ton lit, du côté où tu te
         couches  d’ordinaire.  Munis-toi  également  d’une  petite  lampe  bien
         fournie, afin qu’elle jette plus de lumière. Tu trouveras bien moyen de
         la placer inaperçue derrière le rideau.   Tout cela dans le plus grand
         secret.  Il  ne  tardera  pas  à  venir,  traînant  sur  le  plancher  son  corps
         sinueux, prendre au lit sa place accoutumée. Attends qu’il soit étendu
         tout de son long, et que tu l’entendes respirer pesamment, comme il
         arrive dans l’engourdissement du premier sommeil :   alors glisse-toi
         hors du lit, et va, sans chaussure, à petits pas, et sur la pointe du pied,
         tirer ta lampe de sa cachette. Sa lueur te servira à bien prendre tes



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