Page 78 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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son impatience, elle compte les jours et récapitule les mois. Elle suit
         avec  surprise  l’incompréhensible  progrès  de  ce  petit  ventre  qui
         s’arrondit ; effet prodigieux d’une si légère piqûre.   Cependant les
         deux abominables Furies dont la bouche distille le poison, pressaient
         déjà leur retour avec l’impatience du crime. Nouvelle visite, nouvel
         avertissement de l’époux.   Ma Psyché, voici le jour décisif ; nous
         touchons à la crise. Ton propre sexe, ton propre sang est armé contre
         toi. L’ennemi est en marche, il a pris position ; le signal est donné.
         Déjà tes affreuses sœurs ont le poignard levé sur toi.   O ma Psyché !
         quelles calamités nous menacent ! Aie pitié de toi, aie pitié de nous, et
         que ta discrétion inviolable conjure la ruine de ta maison, de ton mari,
         la tienne, celle de notre enfant.   Ces femmes, qu’une haine homicide,
         et les droits du sang foulés aux pieds, ne te permettent plus d’appeler
         tes sœurs, ces sirènes vont se remontrer sur la montagne, et envoyer à
         l’écho des rochers leur appel perfide. Ne les reçois pas, ne les écoute
         pas.
            Psyché  répond,  d’une  voix  entrecoupée  par  les  sanglots  et  les
         larmes : Je vous ai montré, je pense, que je tiens ma parole et que je
         sais  me  taire ;  laissez-moi  vous  prouver  maintenant  que  ma
         persévérance  n’est  pas  moindre  que  ma  discrétion.      Ordonnez
         seulement à notre Zéphyr de me prêter encore son ministère ; et, ne
         pouvant jouir de votre divine image, que j’aie du moins la consolation
         de voir mes sœurs.   Je vous en conjure par les boucles flottantes et
         parfumées de votre chevelure, par ces joues charmantes, non moins
         délicates que les miennes ; par cette poitrine qui brûle de je ne sais
         quelle  mystérieuse  chaleur.  Un  jour  les  traits  de  cet  enfant  me
         révéleront ceux de son père ; mais qu’aujourd’hui j’obtienne de vous
         d’embrasser mes sœurs.   Accordez cette faveur à mes instances, et
         comblez  d’une  douce  joie  le  cœur  de  cette  Psyché  aussi  dévouée
         qu’elle vous est  chère.    Désormais  je ne vous  parle plus  de votre
         visage : les ténèbres n’ont plus rien qui m’importune ; vous êtes ma
         lumière, à moi.   Elle dit, et en même temps lui prodigue les plus
         douces caresses. Le charme opère. L’époux, de ses propres cheveux,
         essuie les larmes de sa Psyché, et s’évanouit encore de ses bras, avant
         que le jour n’ait paru.
            À peine débarqué, le couple conspirateur, sans visiter père ni mère,



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