Page 76 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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à une conversation où sa discrétion pourrait à la longue se trahir, elle
         charge ses deux sœurs d’or et de bijoux, appelle Zéphyr, et lui enjoint
         de les reconduire où il les a prises. Aussitôt dit, aussitôt fait.
            Et voilà ces deux bonnes sœurs qui, tout en s’en retournant, le cœur
         rongé  déjà  du  poison  de  l’envie,  se  communiquent  leurs  aigres
         remarques. L’une enfin éclate en ces termes :   Voilà de tes traits, ô
         cruelle Fortune ! Injuste, aveugle déesse ! nées de même père et de
         même mère, se peut-il que ton  caprice nous  fasse une condition  si
         différente ?   Nous, ses aînées, on nous marie à des étrangers, ou plutôt
         on nous met à leur service ; on nous arrache au foyer, au sol paternel,
         pour nous envoyer vivre en exil, loin des auteurs de nos jours ;   et
         cette  cadette,  arrière-fruit  d’une  fécondité  épuisée,  nage  dans
         l’opulence, et elle a un dieu pour mari ; elle, qui ne sait pas même user
         convenablement d’une telle fortune !   Vous avez vu, ma sœur, comme
         les joyaux (et quels joyaux !) font partout litière en sa demeure. Des
         étoffes d’une beauté ! des pierreries d’un éclat ! de l’or partout !   Et
         s’il est vrai que son époux soit aussi beau qu’elle s’en vante, existe-t-
         il une plus heureuse femme au monde ? Vous verrez que l’attachement
         de cet  époux-dieu, fortifié par l’habitude, ira jusqu’à faire de  cette
         créature une déesse ! Et certes tout l’annonce : ces airs, cette tenue….
         On aspire au ciel ; on ne tient plus à la terre, quand déjà l’on a des voix
         pour vous servir, quand les vents vous obéissent.   Et quel est mon lot
         à  moi ?  Un  mari  plus  vieux  que  mon  père,  chauve  comme  une
         citrouille, le plus petit des nabots et qui cache tout, tient tout sous la
         clef. Moi, reprit l’autre, j’ai sur les bras un mari goutteux, perclus et
         tout courbé, qui n’a garde de faire souvent fête à mes charmes.   Je n’ai
         d’autre  soin,  pour  ainsi  dire,  que  de  frictionner  ses  doigts  tors  et
         paralysés.  Et  mes  mains,  ces  mains  délicates  que  vous  voyez,  se
         gercent  à  force  de  manipuler  des  liniments  infects,  de  dégoûtantes
         compresses et de fétides cataplasmes. Est-ce là le rôle d’épouse, ou le
         métier de garde-malade ?   Enfin, voyez, ma sœur, jusqu’où il vous
         convient de pousser la longanimité ou la bassesse ; car il faut parler
         net. Quant à moi, je ne puis tenir à voir un si haut bonheur tombé en
         de pareilles mains.   Vous rappelez-vous sa morgue, son arrogance, et
         quel  orgueil  perçait  dans  cette  superbe  ostentation  de  toutes  ses
         richesses ?   et comme elle nous en a jeté, comme à regret, quelques



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