Page 72 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 72

V






            Déposée avec précaution sur une pelouse épaisse et tendre, Psyché
         s’étend  voluptueusement  sur  ce  lit  de  fraîche  verdure.  Un  calme
         délicieux succède au trouble de ses esprits, et bientôt elle s’abandonne
         aux charmes du sommeil. Le repos rétablit ses forces, et au réveil la
         sérénité lui était revenue.   Elle voit un bois planté de grands arbres,
         d’un épais couvert ; elle voit une fontaine dont l’onde cristalline jaillit
         au centre même du bocage. Non loin de ses bords s’élève un édifice
         de  royale  apparence ;  construction  où  se  révèle  la  main,  non  d’un
         mortel, mais d’un divin architecte.   On y reconnaît dès le péristyle le
         séjour de plaisance de quelque divinité. Des colonnes d’or supportent
         une voûte lambrissée d’ivoire et de bois de citronnier, sculptée avec
         une délicatesse infinie. Les murailles se dérobent sous une multitude
         de bas-reliefs en argent, représentant des animaux de toute espèce, qui
         semblent se mouvoir et venir au-devant de vos pas.   Quel artiste, quel
         demi-dieu, quel dieu plutôt, a pu jeter tant de vie sur tout ce métal
         inerte ?   Le sol est une mosaïque de pierres précieuses, chargées des
         tableaux les plus variés. O sort à jamais digne d’envie ! marcher sur
         les perles et les diamants !   À droite et à gauche, de longues suites
         d’appartements  étalent  une  richesse  qui  défie  toute  estimation.  Les
         murs, revêtus d’or massif, étincellent de mille feux. Au refus du soleil,
         l’édifice  pourrait  sécréter  un  jour  à  lui,  tant  il  jaillit  d’éclairs  des
         portiques,  des  chambres  et  des  parois  mêmes  des  portes.
         L’ameublement répond à cette magnificence : tout est céleste dans ce
         palais. On dirait que Jupiter, voulant se mettre en communication avec
         les mortels, se l’est élevé comme pied-à-terre.
            Psyché  s’approche,  attirée  par  le  charme  de  ces  beaux  lieux,  et
         bientôt elle s’enhardit à franchir le seuil. De plus en plus ravie de ce
         qu’elle voit, elle promène son admiration de détail en détail, passe aux
         étages supérieurs, et y reste en extase à la vue d’immenses galeries où
         s’entassent trésors sur trésors. Ce qu’on ne trouve pas là n’existe nulle
         part sur terre.   Mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est qu’à cette
         collection des richesses du monde entier on ne voit fermeture, défense,



                                          72
   67   68   69   70   71   72   73   74   75   76   77