Page 77 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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bribes ? et comme elle s’est débarrassée de nous ? comme, sur un mot
         d’elle, on nous a mises ou plutôt soufflées dehors ?   Oh ! j’y perdrai
         mon sexe et la vie, ou je la précipiterai de ce trône de splendeur. Tenez,
         l’insulte nous est commune ; et si vous la sentez comme moi, prenons
         ensemble un grand parti.   D’abord, ne montrons à nos parents, ni à
         personne, les jolis cadeaux que nous portons là. Il y a mieux ; ne disons
         mot de ce que nous savons d’elle.   C’est bien assez de mortification
         de l’avoir vu, sans l’aller conter à nos parents et proclamer par toute la
         terre. Richesse ignorée n’est pas contentement.   Faisons-lui voir que
         nous sommes ses aînées, et non ses servantes. En attendant, allons
         revoir nos maris et nos ménages : s’ils sont pauvres, ils sont simples
         du  moins.  Nous  méditerons  notre  vengeance  à  loisir,  et  nous
         reviendrons bien en mesure de punir cette orgueilleuse. L’odieux pacte
         fut bientôt conclu entre ces deux perverses créatures. Elles cachent
         d’abord leurs riches présents ; et, s’arrachant les cheveux, se déchirant
         le visage, (traitement, du reste, trop mérité), les voilà qui se lamentent
         sur nouveaux frais, mais cette fois par simagrée.   Quand elles ont
         réussi à rouvrir les plaies de leurs parents infortunés, elles les quittent
         brusquement, et regagnent leurs demeures ; et là, gonflées de rage au
         point  que  la  tête  leur  en  tourne,  elles  ourdissent  contre  leur  sœur
         innocente un détestable, disons mieux, un parricide complot.
              Cependant  le  mystérieux  époux  de  Psyché  continue  ses
         admonitions  nocturnes.  Tu  le  vois,  disait-il,  la  Fortune  déjà
         escarmouche de loin contre toi, et va bientôt, si tu ne te tiens ferme sur
         tes gardes, engager le combat corps à corps.   Deux monstres féminins
         ont mis en commun, pour te perdre, leur infernal génie. Leur plan est
         de  t’amener  à  surprendre  le  secret  de  ma  figure.  Or,  je  te  l’ai  dit
         souvent, tu ne la verras que pour ne plus la revoir.   Si donc ces infâmes
         mégères revenaient armées de perfides desseins (elles reviendront, je
         le sais), point d’entretien avec elles ; ou si c’est trop exiger de ce cœur
         si simple et si bon, du moins sur ce qui me touche n’écoute rien, ne
         réponds rien.   Nous allons voir s’augmenter notre famille. Enfant toi-
         même, tu portes un enfant dans ton sein, enfant qui sera dieu si tu
         respectes mon secret, simple mortel, si tu le profanes.
            Grande joie de Psyché à cette nouvelle. Une progéniture divine ! un
         si glorieux gage de leur union ! Et ce respectable nom de mère !   Dans



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