Page 87 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 87
vers la couche d’or où repose le dieu malade. De la porte, elle lui crie
de sa plus grosse voix : Belle conduite, en vérité, pour un enfant
discret et sage ! Est-ce là le cas que vous faites des ordres d’une mère,
d’une souveraine ? Au lieu de livrer mon ennemie à d’ignobles
amours, vous osez, enfant libertin, lui prodiguer vos caresses précoces,
et chercher dans ses bras des plaisirs défendus à votre âge ! Vous
prétendez m’imposer pour bru la femme que je déteste ! Ah çà,
croyez-vous, petit drôle, séducteur avorton, enfant insupportable, que
seul vous soyez en état d’avoir lignée et que moi je sois hors d’âge ?
Oh bien ! Sachez que je veux avoir un fils qui vous remplacera, et qui
vaudra mieux que vous. Tenez, afin que l’affront soit plus sensible,
j’adopterai quelqu’un de mes serviteurs, et je le doterai de ces ailes, de
ce flambeau, de cet arc et de ces flèches, que je vous avais confiés pour
un meilleur usage ; car tout cet équipement m’appartient, et il n’en
est pas une pièce qui vous vienne de votre père.
On vous a gâté dès l’enfance : vos mains n’ont jamais su
qu’égratigner et battre ceux à qui vous devez le respect. Moi-même,
moi, votre mère, enfant dénaturé, ne suis-je pas journellement volée
par vous, et quelquefois battue ? Vous n’en useriez pas autrement avec
moi si j’étais veuve ; et votre beau-père, ce grand et formidable
guerrier, ne vous impose même pas. Je le crois bien, au surplus : pour
me faire enrager, vous vous êtes mis sur le pied de lui procurer de
bonnes fortunes ; mais le jeu vous coûtera cher, et ce beau mariage ne
sera pas tout roses pour vous, je vous le promets. Suis-je assez
bafouée ? Que faire ? que résoudre ? comment avoir raison de ce petit
vaurien ? Irai-je mendier le secours de la Sagesse, elle qui m’a vue si
souvent lui rompre en visière, toujours pour les frasques de ce
mignon ? La créature, d’ailleurs, la plus désobligeante et la plus mal
peignée… ! Ah ! j’en ai le frisson ; mais il est si bon de se venger,
coûte qui coûte ! Allons, j’irai trouver la Sagesse, oui, la Sagesse. Du
moins, mon fripon sera châtié de main de maître. Elle videra son
carquois, désarmera ses flèches, détendra son arc, éteindra son
flambeau, et ne ménagera pas non plus sa petite personne. Je ne serai
point satisfaite qu’elle n’ait et rasé cette chevelure dorée que j’ai si
souvent peignée de mes propres mains, et rogné ces ailes, autrefois
arrosées du nectar de mon sein.
87