Page 89 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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VI






            Psyché cependant allait errant à l’aventure. Jour et nuit elle cherche
         son époux ; le sommeil la fuit, et sa passion s’en exalte encore. Il s’agit
         pour elle non plus d’attendrir un époux, mais de désarmer un maître.
         Au sommet d’une montagne escarpée, elle aperçoit un temple. Qui
         sait ? dit-elle, peut-être est-ce là le séjour de mon souverain seigneur :
         et la voilà, oubliant ses fatigues, qui court d’un pas rapide vers ce but
         de son espoir et de ses vœux.   Elle gravit intrépidement la hauteur, et
         s’approche du sanctuaire. Elle y voit amoncelés des épis d’orge et de
         froment, dont une partie était tressée en couronne.   Il y avait aussi des
         faux et tout l’attirail des travaux de la moisson ; mais tout cela pêle-
         mêle et jeté au hasard ; comme il arrive quand l’excès de la chaleur
         fait tomber l’outil des mains au travailleur fatigué.   Psyché s’occupe
         aussitôt à débrouiller cette confusion, et à remettre chaque chose en
         ordre et en place, persuadée qu’il n’y a pour elle détail de culte ni
         observance à négliger, et qu’il n’est aucun dieu dont elle n’ait à se
         concilier la bienveillance et la pitié.
            Tandis qu’elle vaque à ce soin consciencieusement et sans relâche,
         arrive  Cérès  la  nourricière,  qui  la  trouve  à  l’ouvrage :  Ah !
         malheureuse Psyché, s’écria-t-elle, avec un soupir prolongé, Vénus en
         courroux cherche par tout l’univers la trace de tes pas ; elle veut ta
         mort ; elle se vengera de tout son pouvoir de déesse et toi, je te trouve
         ici uniquement occupée de mon service, et ne songeant à rien moins
         qu’à ta propre sûreté !   Psyché se prosterne aux pieds de Cérès, les
         inonde de ses larmes, et, balayant le sol de ses cheveux, implore la
         déesse sous toutes les formes de prières.
              Par cette main prodigue des trésors de l’abondance, par les rites
         joyeux de la moisson, par votre attelage ailé de dragons obéissants,
         par les fertiles sillons de la Sicile, par le char ravisseur, par la terre
         receleuse, par la descente de Proserpine aux enfers et son ténébreux
         hyménée, par la triomphante illumination de votre retour après l’avoir
         retrouvée, par tous les mystères enfin que le sanctuaire de l’antique
         Éleusis renferme et protège de son silence sacré, prenez en pitié la



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