Page 108 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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doublure de ses habits. C’était le produit de contributions levées sur
différents voyageurs, et que sa probité, disait-il, lui faisait un devoir
de verser à l’épargne commune. Il s’enquit ensuite avec intérêt de la
santé de ses camarades. Apprenant qu’un certain nombre d’entre eux,
et les plus braves, avaient diversement succombé, tous en gens de
cœur, il ouvrit l’avis de laisser momentanément la paix aux grands
chemins, et, toute expédition ajournée, de ne s’occuper qu’à remplir
les vides par voie d’enrôlement ou de contrainte, afin de remettre la
belliqueuse compagnie sur son ancien pied. Il faut, disait-il, agir sur
les récalcitrants par la terreur, sur les hommes de bonne volonté par
l’appât des récompenses. Pour combien de gens, esclaves ou pauvres
hères, notre condition n’est-elle pas préférable au régime que leur
impose le despotisme ou le besoin ? Pour ma part, j’ai déjà fait une
recrue. C’est un grand jeune homme taillé en force, et qui sait jouer
des mains. Je lui ai remontré, et j’ai fini par l’en convaincre, qu’il se
rouillait dans l’oisiveté ; que, jouissant d’une si belle santé, il devait
s’empresser d’en tirer parti par quelque honnête occupation ; qu’avec
un bras aussi vigoureux on ne tend pas la main pour recevoir l’aumône,
mais qu’on s’en sert activement pour amasser des trésors.
Une approbation unanime accueillit ces paroles. On décide
l’admission au préalable d’un candidat qui paraît si méritant, et
subsidiairement l’adjonction de nouvelles recrues pour compléter la
troupe. Mon homme sort un moment et revient, introduisant un jeune
gaillard aux proportions vraiment colossales, et avec lequel je crois
qu’aucun homme de notre temps ne pourrait entrer en comparaison ;
car, sans parler du développement extraordinaire de ses muscles, il
passait les assistants de toute la tête : et cependant un poil follet
commençait à peine à se dessiner sur sa face. Il n’était qu’à demi vêtu
de haillons chamarrés de pièces et de morceaux ; et le tout assez mal
cousu semblait tenir à l’étroit l’osseuse charpente de sa vaste poitrine
et les massifs contours de ses flancs. Le candidat étant introduit dans
cet équipage : Salut, dit-il, ô vous compagnons du vaillant dieu de la
guerre, et, à dater de ce jour, mes fidèles camarades ! Recevez dans
vos rangs un homme de courage et d’action, plus empressé à prendre
sa part des coups que des dépouilles ; un homme à qui la présence de
la mort, si redoutée des autres, ne fait que redonner du cœur. N’allez
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