Page 109 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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pas me prendre pour un mendiant, pour un homme de rien, ni juger ce
         que je vaux par les guenilles que je porte. Tel que vous me voyez, j’ai
         commandé une troupe des plus intrépides, et mis la Macédoine entière
         à feu et à sang.   En un mot, je suis le fameux Hémus de Thrace, dont
         le nom seul fait frémir les provinces. Mon père est l’illustre Théron
         qui m’a nourri de sang humain, et élevé dans les rangs de sa troupe. Il
         m’a légué sa vaillance, et l’héritage n’a pas dépéri entre mes mains.
            Mais cette noble association d’antique prouesse, et, avec elle, tout
         ce que je possédais de fortune, tout cela a péri dans un moment. Dans
         une  attaque  nocturne  contre  un  intendant  des  finances  impériales,
         depuis tombé en disgrâce… Mais il est bon de reprendre les choses
         d’un peu plus haut.
              Il  y  avait  à  la  cour  de  César  un  personnage  éminent  par  ses
         services, et dont l’empereur faisait personnellement le plus grand cas.
         Il eut des envieux, et leurs manœuvres parvinrent à élever contre lui
         une accusation qui aboutit à l’exil. Son épouse Plotine, femme d’un
         mérite  rare,  d’une  fidélité  exemplaire,  et  dont  l’heureuse  fécondité
         avait grossi sa famille d’un dixième gage de leur union, prit l’héroïque
         résolution de renoncer aux fastueuses délices de la vie romaine, pour
         suivre un époux banni et s’associer à son infortune.   Elle rasa ses
         cheveux, prit un habit d’homme, rassembla tout ce qu’elle possédait
         d’argent monnayé, et le renferma avec ses plus précieux bijoux dans
         sa ceinture. On la voyait à la tête de l’escorte, intrépide au milieu des
         armes, partager tous les périls de son mari, et supporter, pour l’amour
         de lui, les veilles et les fatigues avec une force et une constance au-
         dessus de son sexe.   Enfin, après avoir surmonté les difficultés sans
         nombre d’un voyage par terre et les terreurs d’une traversée maritime,
         ils se dirigeaient sur l’île de Zacinthe, que le fatal décret leur avait
         assignée pour résidence temporaire.
            Ils  touchaient  à  Actium  au  moment  où  notre  troupe,  qui,  alors,
         exploitait la Macédoine, battait le pays dans les environs. La nuit était
         fort avancée, et l’équipage, pour ne pas coucher à bord, s’était établi
         dans une petite auberge  sur le rivage, à proximité du navire. Nous
         profitâmes de l’occasion pour fondre sur eux ; et, après avoir fait main
         basse sur ce qu’ils possédaient, nous disparûmes, non sans avoir couru
         nous-mêmes un grand danger ;   car la dame, au premier bruit qu’elle



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