Page 110 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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entendit à la porte, se mit à courir dans sa chambre, s’efforçant par des
cris répétés de donner l’alarme. Soldats et domestiques, elle appelait
chacun par son nom, et réclamait en même temps le secours de tout le
voisinage. Par bonheur chacun resta blotti dans son coin, et craignant
pour sa peau : autrement nous n’eussions pas effectué impunément
notre retraite. Cependant cette admirable (car il faut dire la vérité),
cette incomparable épouse, profitant de l’intérêt excité par sa noble
conduite, obtint de l’empereur par ses sollicitations que son mari serait
rappelé, et que justice serait faite de notre agression. César, un beau
jour, voulut qu’il n’existât plus de bande du brigand Hémus, et la
bande fut anéantie. Un grand prince n’a qu’à vouloir. Cernée par une
force supérieure, ma troupe fut accablée et taillée en pièces. Seul
j’échappai aux gouffres de l’Érèbe, et voici par quel moyen.
Je m’affublai d’une robe de femme à grand ramage, à plis flottants ;
et, coiffé d’un chapeau d’étoffe, les pieds passés dans des mules
blanches et fines, comme en portent les femmes, je me juchai sur un
âne qui portait des gerbes d’orge, et, grâce à mon accoutrement
féminin, je passai sans encombre au beau milieu des ennemis. On me
prit pour la femme de quelque ânier, et les rangs s’ouvrirent pour me
faire place. Vous saurez que mes joues, alors imberbes, conservaient
encore l’éclat et le poli du teint d’un enfant. Malgré cet échec, on ne
dira pas que j’aie dérogé à la gloire de ma famille, ou manqué à ma
propre réputation. Bien que sous le couteau de l’ennemi pour ainsi
dire, et peu rassuré par un tel voisinage, j’ai su, à la faveur de mon
déguisement, exploiter mainte ferme, et me ramasser une escarcelle de
voyage, comme vous le voyez, assez rondelette. Déboutonnant alors
ses guenilles, il fait briller à leurs yeux une somme de deux mille
pièces d’or. Voici, dit-il, ma bienvenue, ou, si vous aimez mieux, ma
dot. Je vous en fais hommage ; et, si vous me voulez pour chef, je
m’offre à vous de bon cœur. Laissez-moi faire, et je ne serai pas
longtemps à changer en or chaque pierre de ce logis.
On ne fut pas longtemps à l’élire : un suffrage unanime lui décerna
le commandement. On apporta des habits un peu plus propres, dont on
l’invita à se revêtir. Débarrassé de sa souquenille qui cachait tant de
richesses, le nouveau chef en costume donne à tous l’accolade, et,
prenant place sur un lit plus élevé que le reste, inaugure son installation
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