Page 24 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 24

bataille, et j’irai de tout cœur.
            L’entretien dura encore quelque temps sur ce ton, puis nous nous
         séparâmes. Vers midi, je reçois un porc gras, cinq poulardes et un baril
         d’excellent vin vieux, que Byrrhène m’envoyait pour ma bienvenue.
         J’appelle  aussitôt  Photis.  Tiens,  lui  dis-je,  voici  du  renfort  pour
         Vénus :  Bacchus,  son  écuyer,  lui  apporte  ses  armes.  Il  faut
         qu’aujourd’hui  même  nous  mettions  ce  tonneau  à  sec.  Noyons  la
         froide  pudeur  dans  le  vin,  et  puisons  dans  ses  flots  une  ardeur
         infatigable.      De  l’huile  à  pleine  lampe  (car  adieu  cette  fois  au
         sommeil), et du vin à pleines coupes, c’est tout ce qu’il faut pour le
         voyage de Cythère.   Je me rendis de suite au bain, où je passai le temps
         jusqu’au souper, mon cher hôte Milon m’ayant invité à partager son
         très maigre ordinaire. Je n’avais pas oublié les avis de Byrrhène ; aussi
         pris-je grand soin de ne rencontrer que le moins possible le regard de
         la maîtresse du logis. Je ne jetais les yeux de son côté qu’avec effroi,
         comme si j’allais voir le lac Averne.   Par compensation, Photis était
         là pour nous servir. Pas un de ses mouvements ne m’échappait, et cette
         vue  me  réjouissait  l’âme.  La  nuit  survint.  Tout  à  coup  Pamphile
         s’écria, en regardant la lampe : Quelle averse pour demain ! Son mari
         lui demanda comment elle le savait. C’est la lampe qui me l’annonce,
         reprit-elle.   Milon se mit à rire. Admirable sibylle que nous avons là,
         dit-il, au courant de toutes les affaires du ciel. Du haut de cette tige qui
         la  porte,  il  n’est  sans  doute  pas  un  mouvement  du  soleil  qu’elle
         n’observe.
            Ici  je pris à mon  tour la parole :  C’est  là effectivement une des
         premières notions de l’art divinatoire ;   et la chose est toute simple.
         Cette petite flamme allumée par une main mortelle n’est rien moins
         qu’une  étincelle  du  feu  céleste ;  une  secrète  correspondance  existe
         entre elle et sa divine origine. Elle sait ce qui va se passer là-haut :
         pourquoi ne pourrait-elle pas le prédire ?   À ce propos, nous avons
         maintenant  à  Corinthe  un  Chaldéen  qui  fait  des  consultations
         merveilleuses, et qui met toute la ville en émoi. Il va inviter le premier
         venu, pour son argent, au secret des destinées.   Il sait quel jour il faut
         choisir pour contracter mariage, pour poser une première pierre, pour
         entreprendre une affaire de négoce, pour faire route sans mauvaise
         rencontre, ou s’embarquer sous de bons auspices.   Moi-même, je l’ai



                                          24
   19   20   21   22   23   24   25   26   27   28   29