Page 30 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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Et, s’il vous plaît, repris-je, pour cette lugubre faction quelle est la
         consigne ?   Faire le guet  toute la nuit,  dit-il, les yeux tout grands
         ouverts et fixés sur le cadavre ; et il n’y a pas à cligner de la paupière,
         encore  moins  à  regarder  de  droite  ou  de  gauche :  car  ces  maudits
         caméléons femelles se glissent soudain en tapinois, sous une forme
         quelconque ; l’œil du Soleil ou de la Justice y serait lui-même trompé.
         Elles se changent en chien, en souris, en mouche même, au besoin.
         Puis vite un enchantement ; et les gardiens s’endorment.   On n’en
         finirait pas à décrire toutes les surprises imaginées par ces infernales
         créatures pour en venir à leurs fins.   Notez que, pour salaire, on n’offre
         guère plus de quatre à six pièces d’or à qui se charge de ce périlleux
         service.   Ah ! j’oubliais : le gardien, dans le cas où le corps ne serait
         pas retrouvé le matin dans son entier, est tenu de remplacer ce qui
         manque, pièce pour pièce, avec la chair de sa propre face.
            Ainsi renseigné, je prends mon courage à deux mains ; je vais droit
         au crieur, et lui dis :   Ménagez vos poumons ; voici le gardien tout
         trouvé ; voyons le prix. On vous donnera mille écus, dit-il ;   mais,
         mon gaillard, songez-y bien, le mort est le fils d’un des premiers de la
         ville.  Faites  bonne  garde  au  moins  contre  ces  détestables  harpies.
         Bagatelle ! recommandation inutile ! répondis-je ; je suis un corps de
         fer,  et,  pour  la  vigilance,  un  Lyncée,  un  Argus ;  des  yeux  partout.
         J’avais à peine fini, qu’il me conduit à une maison dont les principales
         issues étaient fermées. Nous entrons par une petite porte de derrière,
         et j’arrive à un appartement dont tous les jours interceptés excluaient
         la lumière du dehors, et où pourtant je parvins à apercevoir une femme
         éplorée,  et  en  deuil  des  pieds  à  la  tête.      Voici,  dit  mon  guide  en
         s’approchant, un homme résolu qui s’engage à garder le corps de votre
         époux.   À ces mots, la dame écarte ses cheveux des deux côtés de son
         visage, dont la beauté me frappa au milieu de ses larmes ; et arrêtant
         ses regards sur moi : Vous savez, dit-elle, ce que votre tâche exige de
         surveillance.   Soyez sans inquiétude, repris-je, pourvu que j’aie un
         supplément de prix raisonnable.
            Elle y consent, et, se levant aussitôt, me conduit dans une autre
         chambre.   Là se trouvait le corps du défunt, recouvert d’un linceul
         éclatant.  Elle  le  découvre  en  présence  de  sept  personnes  appelées
         comme témoins ; et, à cette vue, ses larmes recommencent à couler.



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