Page 34 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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homme se fait entendre : J’avais déjà bu l’eau du Léthé, dit-il, et
presque franchi les marais du Styx. Pourquoi me rengager dans les
tristes devoirs de cette vie éphémère ? Cessez, cessez, de grâce, et me
rendez à mon repos. Ainsi parla le cadavre. Mais le prophète lui dit
d’un ton impératif : Il faut tout révéler ; il faut mettre au grand jour le
secret de la tombe. Ne sais-tu pas que mes accents ont le pouvoir
d’évoquer les Euménides, et de livrer tes membres aux tortures
qu’elles savent infliger ? Le mort, poussant alors un profond
gémissement, se tourne vers le peuple et dit : La femme que j’avais
épousée a causé mon trépas. J’ai péri par le poison ; et ma couche
n’était pas refroidie, que déjà l’adultère venait la souiller. À cette
accusation, l’épouse, s’armant d’une effronterie sans pareille, oppose
un sacrilège dé menti. La foule s’agite, les esprits se partagent, Les uns
veulent que, sans plus tarder, cette femme scélérate soit ensevelie toute
vive avec son mari. D’autres crient au prestige, et soutiennent que le
cadavre a menti.
Mais bientôt la question est tranchée par une révélation accessoire
du défunt, poussant un nouveau et plus profond soupir : Je vais, dit-il,
je vais prouver jusqu’à l’évidence que je n’ai dit que la vérité ; et cela,
par une circonstance à moi seule connue. Pendant que ce fidèle
surveillant (me montrant du doigt) faisait si bonne garde auprès de
mon corps, des sorcières, qui avaient jeté le dévolu sur ma dépouille,
ont vainement cherché, sous diverses formes, à mettre sa vigilance en
défaut. Enfin, elles ont étendu sur lui les vapeurs du sommeil ; et,
l’ayant plongé dans une sorte de léthargie, elles n’ont cessé de
m’appeler par mon nom, tant qu’enfin mes membres engourdis et mon
corps déjà glacé commençaient à s’évertuer pour répondre à la
magique sommation. Celui-ci, qui était bien vivant, qui n’avait d’un
mort que l’apparence, entendant prononcer son nom (car nous portons
le même), se lève sans savoir pourquoi, s’avance comme un fantôme,
et machinalement va donner contre la porte ; elle était bien fermée ;
mais il s’y trouvait une ouverture au travers de laquelle on lui coupa
successivement d’abord le nez, puis les oreilles ; amputation qu’il n’a
subie qu’à mon défaut. Les sorcières ont ensuite imaginé un raccord
pour déguiser leur larcin. Avec de la cire, elles lui ont façonné une
paire d’oreilles qu’elles lui ont appliquées très proprement, et lui ont
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