Page 37 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 37
III
Déjà l’Aurore, de ses doigts de rose, secouant les rênes
empourprées, lançait son char dans la carrière des cieux. Adieu le doux
repos ; la nuit le cédait au jour. Une violente agitation me saisit au
souvenir des événements de la veille. Je m’assis sur mon lit, les pieds
croisés, et, appuyant sur mes genoux mes mains entrelacées, je me mis
à pleurer à chaudes larmes. Mon imagination alarmée me peignait déjà
le tribunal, l’arrêt, et jusqu’au bourreau même tout prêt à mettre la
main sur moi. Comment supposer un juge assez bénin, assez
débonnaire, pour acquitter l’homme souillé d’un triple meurtre, teint
du sang de tant de citoyens ? Était-ce donc là ce glorieux voyage que
le Chaldéen Diophane m’avait si intrépidement promis ? Cependant
une vive rumeur et des coups répétés se font entendre à la porte
extérieure.
La maison s’ouvre avec violence, et des magistrats, des officiers,
un flot de gens de toute espèce y fait soudain irruption. Sur l’ordre des
magistrats, des licteurs me saisissent et m’entraînent. Toute idée de
résistance était bien loin de moi. Nous n’étions pas hors de l’impasse,
que la population, déjà sur pied, nous suivait en foule, et quelle foule !
Or, tout en marchant tristement, la tête inclinée vers la terre (j’aurais
voulu être plus bas), il m’arriva de regarder de côté, et je fus frappé
d’une circonstance étrange. De tant de milliers d’individus qui nous
entouraient, il n’y en avait pas un qui ne parût pouffer de rire. Après
qu’on m’eut fait faire le tour de toutes les places de la ville, comme à
ces victimes que promène une procession lustrale pour conjurer
quelque fléau, nous arrivons enfin au lieu ou se rendait la justice, et je
me trouve en face du tribunal. Déjà les magistrats avaient pris place
sur l’estrade, et l’huissier commandait le silence, quand, tout d’une
voix, l’assemblée se récrie contre les dangers d’une agglomération si
considérable dans un si étroit espace ; et l’on demande que, en raison
de son importance, la cause soit jugée au théâtre. La foule aussitôt
prend les devants, et, en un clin d’œil, l’enceinte du théâtre est
encombrée. Les couloirs, les combles même sont envahis. Quelques
37