Page 40 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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épée entre les deux épaules. Quant au troisième, au moment où il se
         lançait à corps perdu sur moi, je présente le fer, et ma lame lui traverse
         la poitrine.   J’avais combattu pour le bon ordre, protégé la maison de
         mon hôte, la vie de vos concitoyens. Je me croyais non seulement à
         l’abri de tout reproche, mais en droit d’attendre un témoignage de la
         reconnaissance publique. J’ajoute que jamais prévention même la plus
         légère  ne  s’éleva  contre  moi,  et  que  je  jouis  dans  mon  pays  de  la
         considération  qu’on  mérite  quand  on  met  une  conscience  pure  au-
         dessus de tous les biens.   Enfin, je ne puis comprendre que, pour avoir
         usé  contre  des  brigands  du  droit  de  légitime  défense,  une  telle
         accusation vienne peser sur ma tête, quand on ne peut arguer contre
         moi,  ni  d’aucun  précédent  d’inimitié,  que  dis-je ?  de  relations
         quelconques avec ces misérables, non plus que d’aucun instinct de
         cupidité qui ait pu me pousser à tremper mes mains dans leur sang.
            Ayant ainsi parlé, de nouveau je fonds en pleurs, et, joignant mes
         mains suppliantes, je vais de l’un à l’autre implorant leur merci, au
         nom de l’humanité et de tout ce qu’ils ont de plus cher au monde.   Je
         crus les voir émus de pitié, attendris par mes larmes ; et déjà je faisais
         intervenir l’œil du Soleil et de la Justice, et déjà je mettais ma cause
         sous la sauvegarde de la céleste providence, quand, levant un peu la
         tête et promenant mes regards sur l’assemblée, je la vois s’abandonner
         tout entière à un fou rire. Il n’y avait pas jusqu’à cet excellent Milon,
         un hôte, un père, qui ne s’en donnât à cœur-joie.   O bonne foi ! ô
         conscience ! dis-je en moi-même : eh quoi ! pour l’amour de lui je me
         fais  meurtrier,  j’expose  ma  tête,  et  cet  ingrat,  loin  de  me  prêter  la
         moindre assistance, ne verra dans mon piteux cas qu’une occasion de
         se désopiler la rate !
            En ce moment, une femme pleurant à fendre le cœur accourt au
         milieu du théâtre, vêtue de noir et tenant un enfant sur son sein. Une
         vieille la suivait tout en haillons, et également éplorée. Toutes deux,
         agitant des branches d’olivier, font le tour du lit où gisaient recouverts
         d’un manteau les trois cadavres ; et voilà ces nouvelles venues qui se
         mettent à pousser des cris lamentables.   Au nom de la pitié publique,
         s’écriaient-elles, par les droits sacrés de l’humanité, soyez touchés du
         sort  de  ces  malheureux  jeunes  gens  si  indignement  égorgés ;  et  ne
         refusez  pas  à  une  veuve,  à  une  mère,  désormais  sans  appui,  la



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