Page 44 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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cette tête chérie, je ne te supposerai jamais capable d’une machination
         contre  moi ;  tu  l’affirmerais,  que  je  ne  le  croirais  pas ;      et  quand
         l’intention est innocente, un hasard, fût-il même funeste, ne saurait la
         rendre  criminelle.  Tandis  que  je  parlais,  Photis  me  regardait
         timidement d’un œil humide et à demi voilé, où mille baisers allèrent
         aussitôt recueillir avidement et savourer ses douces larmes.
            Mes caresses lui rendirent sa gaieté. Avant tout, dit-elle, laissez-moi
         bien fermer la porte : un mot entendu au dehors serait de ma part la
         plus fatale des indiscrétions.   En disant ces mots, elle va pousser les
         verrous et fermer le crochet. Puis revenant à moi, elle jette ses deux
         bras  autour  de  mon  cou,  et  d’une  voix  basse  et  singulièrement
         affaiblie :   Je tremble, dit-elle, le cœur me manque. Dois-je révéler le
         secret de la maison, le grand arcane de ma maîtresse ?   Allons, je me
         fie à vous, à vos principes. Avec les sentiments d’honneur que vous
         ont  transmis  vos nobles ancêtres,  avec  un esprit  aussi élevé que le
         vôtre, initié comme vous l’êtes à de sacrés mystères, vous êtes fidèle
         assurément à la religion du secret.   Que mes confidences restent donc
         à jamais comme murées dans le sanctuaire de votre conscience ; et
         payez  par  une  discrétion  à  toute  épreuve  la  candeur  de  mes
         épanchements.   C’est l’amour qui me force à révéler ce que nul autre
         que moi ne sait au monde. Oui, vous allez connaître tout ce qui se passe
         en ces lieux.   Je vous dirai par quels enchantements ma maîtresse sait
         faire obéir les mânes, troubler le cours des astres, assujettir les dieux,
         soumettre les éléments.   C’est surtout lorsqu’elle a jeté un regard de
         complaisance  sur  quelque  beau  jeune  homme  (ce  qui  lui  arrive
         souvent), qu’on la voit déployer la terrible puissance de son art.
            En ce moment même, éperdument éprise d’un jeune Béotien beau
         comme le jour, il n’est sorte d’artifices et de machinations qu’elle ne
         mette en jeu.   Hier, après midi, je l’ai entendue, entendue de mes
         propres  oreilles,  menacer  le  soleil  de  l’obscurcir,  et  d’ensevelir  sa
         lumière dans d’éternelles ténèbres, s’il ne précipitait sa course pour
         laisser le champ libre à ses conjurations.   En sortant du bain, elle avait
         aperçu son jeune amant assis dans la boutique d’un barbier ; et vite,
         elle m’ordonna de m’emparer furtivement des cheveux que les ciseaux
         avaient  fait  tomber  de  sa  tète.  Le  barbier  me  surprit  au  milieu  de
         l’opération ; et, comme ce trafic de maléfices nous a fait une réputation



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