Page 45 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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détestable,  il  me  saisit,  et  m’apostrophant  avec  brutalité :      Tu  ne
         cesseras donc pas, dit-il, de voler ainsi les cheveux de tous les beaux
         jeunes gens ? Que je t’y reprenne, et, sans marchander, je te livre aux
         magistrats.   Le geste suit les paroles ; il fourre sa main dans ma gorge,
         et  m’arrache  avec  rage  les  cheveux  que  j’y  avais  cachés.      Très
         déconcertée  de  ma  mésaventure,  et  songeant  à  l’humeur  de  ma
         maîtresse,  qu’une  contrariété  de  ce  genre  peut  mettre  hors  d’elle-
         même, et qui alors me bat à outrance, je fus au moment de prendre la
         fuite ; mais j’ai pensé à vous, et je n’ai pu m’y décider.
            Je  m’en  revenais  cependant,  bien  en  peine  de  me  présenter  les
         mains vides, quand j’aperçois un homme occupé à tondre avec des
         ciseaux des outres de peau de bouc.   Après qu’il les eut gonflées, je le
         vis les lier fortement et les suspendre. Je ramassai par terre plusieurs
         touffes de leur toison ; elle était blonde, et ressemblait assez sous ce
         rapport à la chevelure du jeune Béotien. Je rapportai cette dépouille à
         ma maîtresse, sans lui dire d’où je la tenais.   Aussi, dès que la nuit fut
         venue, et avant votre retour du souper, Pamphile, que le désir talonne,
         monte aux combles, en un réduit ouvert à tous les vents, ayant vue sur
         l’orient et les autres points de l’horizon. C’est le lieu qu’elle a choisi
         comme  le  plus  propice  à  ses  enchantements.      Enfermée  dans  ce
         magique  laboratoire,  la  voilà  qui  procède  à  ses  manipulations
         accoutumées, dont les éléments sont des aromates de toute espèce, des
         lames d’airain couvertes de caractères indéchiffrables, des ferrements
         des  navires  naufragés,  nombre  de  débris  humains  enlevés  à  des
         cadavres avant ou après la sépulture. Ici sont des fragments de nez, de
         doigts ; là des clous arrachés avec la chair aux croix patibulaires ; plus
         loin  du  sang  d’homme  tué,  et  des  morceaux  de  crânes  humains
         disputés à la dent des bêtes féroces.
            Devant elle sont des entrailles encore palpitantes. Après quelques
         mots magiques, elle les arrose successivement d’eau de fontaine, de
         lait  de  vache  et  de  miel  de  montagne ;  elle  y  joint  des  libations
         d’hydromel.   Ensuite elle entrelace les prétendus cheveux, les noue,
         et les brûle sur des charbons ardents, avec force parfums.   Soudain le
         charme irrésistible opère, et, par la mystérieuse puissance des pouvoirs
         évoqués,  les  outres,  dont  la  toison  fumait  et  grillait  sur  la  braise,
         s’animent  comme  des  créatures  humaines,  sentent,  entendent,



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