Page 41 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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consolation  de  la  vengeance !      Secourez  du  moins,  secourez  cette
         faible créature vouée dès sa naissance à la misère, et que le sang de ce
         monstre soit offert en expiation à la morale et aux lois outragées.   Sur
         cet incident, le président se lève, et s’adresse au peuple en ces termes :
         Le crime est avoué par le coupable, il en sera fait justice exemplaire.
         Mais nous avons un devoir préalable à remplir, c’est de découvrir les
         complices d’un tel forfait :   car il n’est pas vraisemblable qu un seul
         homme ait pu ôter la vie à trois jeunes gens aussi vigoureux. La torture
         mettra au jour la vérité.   L’esclave qui l’accompagnait ayant pris la
         fuite, il ne nous reste qu’à appliquer au maître la question, pour qu’il
         révèle  ses  adhérents.  Par  là  nous  rassurerons  la  cité,  en  extirpant
         radicalement cette association formidable.
            Il dit ; et déjà les apprêts se font, d’après l’usage de la Grèce. On
         apporte du feu, une roue, et des fouets de toutes formes et dimensions.
         Pour surcroît de disgrâce (et ma peine en était doublée), il ne m’était
         pas même permis de mourir tout entier.   Mais la vieille, qui avait fait
         tant de bruit par ses lamentations, prend alors la parole : Citoyens, dit-
         elle, avant que cet abominable meurtrier de mes malheureux enfants
         expie son crime sur la croix, ordonnez-lui de découvrir leurs cadavres,
         afin qu’à la vue de tant de beauté, de tant de jeunesse, votre indignation
         mesure la sévérité du supplice à l’atrocité du forfait.   On applaudit à
         cette motion, et, à l’instant, le magistrat m’ordonne de découvrir de
         ma propre main les cadavres placés sur le lit.   Je me révolte à l’idée
         d’une  répétition  de  l’horrible  spectacle  de  la  veille.  Je  me  débats
         longtemps contre les licteurs, qui, sur un signe des magistrats, essayent
         de me contraindre à obéir. Enfin ils saisissent mon bras, l’éloignent de
         mon corps de vive force, et l’étendent sur les cadavres.   Accablé,
         épuisé,  je  cède,  et  je  prends,  certes,  bien  malgré  moi,  un  coin  du
         manteau qui les recouvre. Je le soulève… Grands dieux, que vois-je ?
         ô prodige ! quelle péripétie !   Quand déjà je me regardais comme un
         hôte de Proserpine, comme un commensal des enfers, tout à coup la
         scène change, et je reste stupéfait : les mots ne sauraient exprimer une
         pareille métamorphose.   Mes trois victimes n’étaient autres que trois
         outres  gonflées  d’air.  Leurs  flancs  portaient  des  marques  de
         perforation qui répondaient exactement, si ma mémoire était bonne,
         aux blessures que j’avais faites aux trois bandits.



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