Page 46 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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marchent, et, attirées par l’odeur qui s’exaltait de leurs dépouilles, les
voilà qui arrivent au défaut du Béotien, et se lancent contre notre porte.
C’est alors qu’étourdi par de copieuses libations, et trompé par
l’obscurité, vous mîtes bravement l’épée au vent ; et, nouvel Ajax,
dans un transport de folie pareil, mais bien plus héroïque, (car il s’est
rué comme un boucher sur des animaux vivants) vous fîtes, vous,
rendre l’âme à trois outres gonflées. Si bien qu’après cet innocent
exploit, où pas une goutte de sang n’a coulé, c’est un vainqueur, non
pas homicide, mais outricide, que je reçois dans mes bras.
À ce trait de Photis, ma gaieté s’anime, et je riposte : Oui, mon
premier trophée peut être comparé aux douze travaux d’Hercule.
Cette victoire sur trois outres ira de pair avec son triomphe sur le triple
Géryon ou sur Cerbère aux trois têtes. Mais veux-tu que je te
pardonne ton étourderie et tous les embarras qu’elle m’a causés ? Il est
une chose que je désire avec passion ; fais-la. Montre-moi ta
maîtresse opérant selon la science dans le feu de l’évocation ; que je
la voie au moins dans une de ses métamorphoses. Je meurs d’envie
d’apprendre les secrets de l’art magique. Mais toi, si je ne me trompe,
non, tu n’y es pas novice ; je le sais, et de plus je le sens. Moi, si
indifférent aux caresses de nos belles dames, ces yeux brillants, ces
fraîches joues, l’or de cette chevelure, ces baisers à lèvres ouvertes,
cette gorge enivrante, je suis l’esclave de tout cela, et l’esclave
volontaire. Adieu le foyer, adieu le retour. Une nuit comme celle-ci
est ce que je mets au-dessus de tout.
Que je serais heureuse de te contenter, mon cher Lucius, répondit-
elle ; mais ces pratiques sont vues de si mauvais œil, que ma maîtresse
ne s’y livre jamais qu’en s’environnant de solitude, en éloignant tous
les regards. Cependant, à mes risques et périls, je ferai ce que tu
désires, j’épierai le moment favorable ; ta curiosité sera satisfaite.
Tandis que nous jasons, le désir se réveille, et les sens se mettent de la
partie. Vite à bas tout voile jaloux ! nus tous deux comme la main,
nous nous étreignons avec fureur. L’amoureuse lutte dura longtemps ;
je me rendais de guerre lasse quand Photis me ranima par une piquante
diversion, offerte avec une complaisance plus que féminine. Mais
enfin le sommeil nous gagna, et nos paupières languissantes se
fermèrent jusqu’au matin.
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