Page 35 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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adapté de même un nez tout pareil au sien. Voilà où en est ce pauvre
homme. On l’a payé, non de sa peine, mais de ses mutilations. Tout
étourdi d’une telle découverte, et voulant m’assurer du fait, je me
pince le nez ; mon nez s’enlève : je tâte mes oreilles, elles suivent la
main. En un clin d’œil : je vois tous les yeux dirigés, tous les doigts
braqués sur ma personne ; le rire allait éclater. Une sueur froide me
saisit ; je me glisse entre les jambes des assistants, et parviens à faire
retraite ; mais défiguré de la sorte, et désormais voué au ridicule, je
n’ai plus osé reparaître dans ma famille, ni revoir mon pays. Avec mes
cheveux que je rabats sur les côtés, je suis parvenu à cacher la place
de mes oreilles ; et ce morceau de linge que je me suis collé au visage
dissimule assez bien l’accident de mon nez.
À ce récit de Télyphron, les convives, que le vin avait mis en gaieté,
se prennent à rire de plus belle. Et, pendant que quelques bons vivants
réclament les libations d’usage au dieu du Rire, Byrrhène se tourne
vers moi : Demain, dit-elle, est l’anniversaire de la fondation de notre
ville, jour consacré à l’auguste dieu du Rire. C’est un culte observé par
nous seuls sur la terre, et que nous célébrons par les plus joyeuses
cérémonies. Votre présence serait un plaisir de plus ; et puisse
quelque heureux fruit de votre imagination ajouter encore à la fête, et
contribuer à rendre l’hommage plus digne de la divinité ! Bien
volontiers, madame, répondis-je ; vos ordres sont ma loi ; et je
souhaite que l’inspiration me serve assez bien pour que la toute-
puissance du dieu se manifeste dans mon œuvre.
Là-dessus, mon valet vint m’avertir que la nuit s’avançait. Je me
lève, ébloui des fumées du vin ; je prends à la hâte congé de Byrrhène,
et, d’un pied chancelant, je m’achemine vers le logis.
Mais voilà qu’au premier détour de rue un coup de vent éteint notre
unique flambeau, et nous plonge soudainement dans les ténèbres.
Nous eûmes mille peines à nous tirer de cet embarras ; et ce ne fut que
harassés de fatigue, et après nous être meurtri les pieds contre chaque
pierre du chemin, que nous pûmes nous rendre au logis. Nous y
arrivions cependant bras dessus, bras dessous, quand trois gros et
vigoureux gaillards se lancent avec force contre notre porte. Notre
présence, loin de les déconcerter, semble les piquer d’émulation ; c’est
à qui frappera le plus fort : nous les prîmes, moi surtout, pour des
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