Page 31 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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Puis, après un moment de silence, adjurant les assistants, elle procède
sous leurs yeux à une revue exacte de tous les membres ; l’inventaire
en est dressé sur une tablette. Voyez, dit-elle, le nez est entier, les
yeux en bon état, les oreilles au complet, les lèvres intactes ; rien ne
manque au menton. Citoyens, rendez-moi du tout bon et fidèle
témoignage. Elle dit, et, les sceaux étant apposés aux tablettes, elle
allait se retirer ; mais je la retins. Madame, lui dis-je, faites-moi, je
vous prie, donner ce qui est nécessaire. Qu’entendez-vous par là, dit-
elle ? Une de vos plus grandes lampes, repris-je, de l’huile
suffisamment pour l’alimenter jusqu’au jour, de l’eau chaude, du vin,
un verre, et un plateau garni des restes de votre souper. Alors, avec
un geste de mépris : Perdez-vous le sens ? dit-elle ; un souper ! des
restes ! dans une maison de mort, où, depuis tant de jours déjà, le foyer
n’a pas même de fumée ! Croyez-vous être venu ici pour faire
bombance ? Allez ; songez plutôt à sympathiser par vos larmes avec
le deuil que vous voyez autour de vous. Se tournant alors vers sa
suivante : Myrrhine, donnez sur-le-champ une lampe et de l’huile à cet
homme, enfermez-le dans la chambre, et retirez-vous.
Me voilà donc livré à moi-même, avec la compagnie d’un cadavre
pour passe-temps. Je me frotte les yeux pour éloigner le sommeil, et,
de temps à autre, je fredonne une chanson pour me donner du cœur au
ventre. Arrive la brune, puis la nuit ; la nuit épaisse, profonde ; la nuit
dans toute son horreur. Ma frayeur croissait avec les ténèbres : tout à
coup, une belette se glisse dans la chambre, vient se poser devant moi,
et se met à me regarder en face avec la dernière assurance. Tant
d’audace dans ce petit animal ne me troubla pas médiocrement. J’ose
enfin lui adresser ces paroles : Veux-tu bien t’en aller, bête immonde ?
Va te cacher avec les rats, seule société qui te convienne ; ou tu vas
sentir ce que pèse mon bras. Zeste, elle détale, et disparaît de la
chambre ; mais au même instant je m’abîme en un sommeil profond ;
si bien que le dieu de Delphes lui-même, voyant là deux corps gisants,
aurait eu peine à distinguer le vivant du mort. J’étais bien là, en effet,
comme si je n’y eusse pas été privé de tout sentiment, dans un état à
être gardé, plutôt qu’à garder moi-même.
Déjà la retraite de la nuit était sonnée par tous les coqs du voisinage.
Je m’éveille en sursaut, et, dans le dernier effroi, je cours au cadavre ;
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