Page 54 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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trébuchais  à  chaque  pas.      Me  trouvant  au  bord  d’un  ruisseau  qui
         serpentait paisiblement, il me vint une idée que je crus heureuse. Je
         voulais, fléchissant adroitement les genoux, me laisser aller à terre,   et
         n’en  plus  bouger  en  dépit  de  tous  les  coups  du  monde,  dût-on
         m’écharper, dût-on me couper par morceaux.   Invalide comme j’étais,
         et tout près de rendre l’âme, c’était bien le moins que j’obtinsse mon
         congé. Infailliblement, me disais-je, les voleurs, impatientés du retard
         et contraints de précipiter leur fuite, vont répartir ma charge entre mes
         deux compagnons d’infortune, et m’abandonner pour toute vengeance
         à la pâture des loups et des vautours.
            Mais un coup du sort vint déranger cette belle combinaison. L’autre
         âne, comme s’il eût deviné ma pensée, prit l’avance sur moi : le voilà,
         simulant un excès de lassitude, qui se jette à bas avec tout son bagage,
         et  reste  par  terre  étendu  comme  mort.  Coups  de  bâton,  coups
         d’aiguillon, rien n’y faisait. On le tiraille en tous sens, par la queue,
         par les jambes, par les oreilles, pour tâcher de le remettre sur pied :
         aucun signe de vie.   Voyant  enfin qu’ils  perdaient leur temps,  les
         voleurs, après s’être consultés entre eux, décident qu’il n’y a pas à
         s’inquiéter davantage d’un âne qui est mort, s’il n’est de pierre.   Sa
         charge est aussitôt partagée entre le cheval et moi. Cela fait, ils lui
         tranchent les jarrets à coups d’épée, et, le tirant du chemin, le font,
         respirant encore, rouler du haut en bas dans un précipice voisin.   Le
         sort de mon infortuné compagnon me donna à réfléchir. Je me promis
         bien de renoncer à toute manœuvre frauduleuse, et de me conduire
         avec mes maîtres en âne de probité.   J’avais d’ailleurs compris, par
         leurs discours, que nous ne tarderions pas à faire halte définitive, et
         que leur habitation n’était pas loin.   Nous y arrivâmes en effet, après
         avoir franchi une côte assez douce. On nous débarrassa de tous nos
         paquets pour les serrer ; et, libre enfin de tout fardeau, je me roulai
         dans la poussière en guise de bain, pour me délasser.
            C’est ici le lieu de faire la description du séjour ou plutôt de la
         caverne qu’habitaient les voleurs.   Belle occasion d’ailleurs de glisser
         un échantillon de mon savoir-faire, et de mettre mes lecteurs en état de
         juger si mon esprit et mon goût sont d’un âne, aussi bien que ma figure.
            Imaginez un mont de l’aspect le plus sauvage, à la crête hérissée
         d’une sombre forêt, et s’élevant à une hauteur prodigieuse.   Supposez



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