Page 55 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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au bas de ses pentes une ceinture impénétrable de rocs escarpés, qui,
         renforcés d’une tranchée continue de ravins profonds, et coupés de
         buissons épineux, forment une double ligne de défense naturelle.   Que
         du sommet jaillisse une source abondante, dont l’onde vomie à gros
         bouillons se déverse d’abord en une suite de cascades argentées, puis
         se  divise  en  une  multitude  de  petits  ruisseaux  qui  finissent  par  se
         recueillir dans les ravins, où leur masse réunie présente l’aspect d’un
         lac  circulaire,  ou  vaste  fossé  d’eau  stagnante.      Qu’en  avant  de  la
         caverne, qui s’ouvre au pied de la montagne, s’élève, pour en protéger
         l’entrée, une tour formidable ; l’espace intermédiaire, fermé des deux
         côtés par une forte palissade de claies, offrira dans son enceinte un
         parc commode au bétail : le tout accessible seulement par une espèce
         de  ruelle  resserrée  entre  deux  môles,  droits  comme  des  murs  de
         maçonnerie.   Voilà, direz-vous, sur ma parole, un repaire de voleurs
         des  mieux  conditionnés.  Du  reste,  aucune  habitation  dans  tout  le
         voisinage, si ce n’est une grossière cabane de roseaux, où, comme je
         l’ai  su  depuis,  la  sentinelle  désignée  par  le  sort  se  postait  en
         observation chaque nuit.
            Les  voleurs  enfilent  l’étroite  avenue  un  à  un,  et  les  bras  serrés
         contre le corps. Arrivés  devant la porte, ils nous attachent avec de
         fortes courroies ; puis les voilà qui apostrophent une vieille décrépite,
         et, à ce qui semblait, l’unique ménagère de cette bande de vauriens.
         Allons ! hé ! carcasse de rebut, dont l’enfer ne veut pas, dont la terre
         ne veut plus, te moques-tu de nous de rester là les bras croisés ? Est-
         ce que nous n’avons pas bien gagné notre souper par tant de périls et
         de fatigues ? Voyons, ne vas-tu rien nous donner, toi qui ne fais jour et
         nuit qu’engloutir notre bon vin dans ton gouffre de ventre ?   La vieille
         tout effrayée se hâte de répondre, d’une voix cassée et tremblante :
         Eh ! mes bons seigneurs, mes doux maîtres, tout est prêt. Excellents
         ragoûts  cuits  à  point,  pain  à  discrétion,  vin  à  bouche  que  veux-tu,
         verres bien rincés ; et l’eau chaude est là pour votre bain, comme à
         l’ordinaire.   Là-dessus, mes gens, mettant habits bas, exposent leurs
         corps tout nus à la vapeur : ainsi délassés, et après s’être bien frottés
         d’huile, ils se disposent à faire honneur au copieux banquet.
            À peine étaient-ils à table, qu’il vint du renfort ; c’étaient d’autres
         gaillards composant une troupe bien plus nombreuse, et qu’il n’était



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