Page 60 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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ayant bien soin de conserver les griffes, et même en laissant le mufle
         intact  depuis  sa  jonction  avec  le  cou.  Toute  cette  peau  fut
         soigneusement raclée à  l’intérieur, saupoudrée de cendre passée  au
         tamis, et ensuite étendue au soleil pour sécher.   Nous, pendant que
         cette dessiccation s’opérait au feu céleste, nous  faisions  bravement
         bombance  avec  la  viande  de  l’animal.  Après  quoi,  on  ouvrit  la
         campagne par le serment dont voici la teneur :   L’un de nous, non pas
         tant  le  plus  robuste  que  le  plus  déterminé,  allait,  de  son  gré  bien
         entendu,  s’enfermer  dans  cette  peau  et  contrefaire  l’ours.  On  le
         porterait dans cet équipage chez Démocharès, et, à la faveur de la nuit,
         il nous procurerait l’entrée de la maison.
            Le rôle était assez neuf pour trouver plus d’un amateur dans les
         braves de notre troupe. Thrasyléon fut désigné à la pluralité des voix,
         et  accepta  le  chanceux  travestissement.  Le  voilà  donc  s’affublant
         gaiement  de  cette  peau,  que  la  préparation  avait  rendue  souple  et
         maniable.   On en rejoint ensuite les deux bords par une couture à
         points serrés, dont la trace, déjà presque imperceptible, se dérobe tout
         à  fait  sous  les  poils  rabattus  de  l’épaisse  fourrure.      La  tête  de
         Thrasyléon se loge, en forçant un peu, immédiatement au-dessous de
         l’ouverture de la gueule, à l’endroit où le cou de la bête avait été coupé.
         On lui perce de petits trous vis-à-vis les yeux et le nez, pour qu’il
         puisse y voir et respirer. Enfin nous nous procurons une cage à bas
         prix,  et  notre  intrépide  camarade  prélude  à  son  rôle  d’ours,  en  s’y
         fourrant résolument à quatre pattes.   Notre stratagème ainsi préparé,
         voici comment nous nous y primes pour en assurer le succès.
            Nous avions déterré le nom d’un certain Nicanor, Thrace de nation,
         avec  qui  Démocharès  était,  disait-on,  en  relation  intime.  Nous
         fabriquâmes pour ce dernier une lettre où son excellent ami Nicanor
         lui offrait les prémices de sa chasse, pour contribuer à l’ornement de
         ses jeux.   Et quand la soirée nous parut assez avancée, nous profitâmes
         de son ombre pour présenter à Démocharès notre Thrasyléon dans sa
         cage, avec l’épître de notre façon.   Notre homme se montra aussi
         émerveillé de la taille de la bête que ravi du présent dont on le gratifiait
         si à propos. Il nous fait sur-le-champ compter dix pièces d’or. C’était
         le fond de sa bourse en ce moment.   Tout ce qui est nouveau attire la
         foule.  Notre  ours  eut  bientôt  un  cercle  d’admirateurs.  Mais,  par



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