Page 62 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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grenier où son œil observateur avait dans la soirée surpris le dépôt d’un
         trésor considérable.   En un instant la porte est enfoncée par nos efforts
         réunis. J’ordonne à nos compagnons de prendre chacun toute sa charge
         d’or ou d’argent, d’aller promptement le cacher dans la demeure des
         morts, de revenir à toutes jambes, et de recommencer.   Moi, pendant
         ce temps, je devais rester seul devant la porte, et faire bonne garde
         dans l’intérêt commun. D’ailleurs l’apparition d’un ours se promenant
         en long et en large me semblait un merveilleux épouvantail pour tenir
         en respect ceux qui viendraient à se réveiller.   Il n’y a courage ni
         intrépidité  qui  tienne  à  pareille  rencontre,  la  nuit  surtout :  chacun
         devait prendre la fuite, et se blottir tout tremblant derrière de bons
         verrous.
            Jamais  mesures  ne  furent  mieux  prises.  Un  contretemps  fit  tout
         échouer :  tandis  que,  l’oreille  au  guet,  j’épiais  le  retour  de  mes
         camarades, le sort voulut  qu’un page se réveillât au bruit.  Le petit
         drôle, arrivant en tapinois, aperçoit la bête qui allait et venait du haut
         en bas tout à son aise. Vite, sans souffler, il revient sur ses pas et fait
         part  à  chacun  de  ce  qu’il  a  vu.      La  maison  avait  un  nombreux
         domestique.  Voilà  tout  le  monde  sur  pied :  torches,  lanternes,
         flambeaux  avec  chandelle  ou  bougie,  etc.,  chassent  à  l’instant  les
         ténèbres.   Chacun s’est armé de bâtons, de lances, d’épées nues. Tous
         les passages sont gardés.   On détache la meute aux grandes oreilles,
         au poil hérissé ; on la lance contre la bête.
            Au milieu du vacarme qui croissait de moment en moment, je jugeai
         à  propos  de  faire  retraite.  Mais,  caché  derrière  la  porte,  je  voyais
         parfaitement  Thrasyléon  faisant  tête  aux  chiens  de  la  meilleure
         contenance possible.   Réduit aux abois, il continuait, déjà sous la dent
         de Cerbère, à se montrer digne de lui, de nous, de son antique prouesse,
         soutenant jusqu’à la mort le rôle dont il s’était volontairement chargé.
         Thrasyléon tantôt fuyait, tantôt faisait face à l’ennemi. Il fit si bien à
         force de ruse et d’agilité, qu’il parvint à gagner la porte. Il était libre
         enfin ; mais la retraite lui fut coupée.   Voilà que tous les chiens du
         quartier, débouchant du premier coin de rue, viennent, aussi nombreux
         qu’acharnés,  apporter  du  renfort  à  la  meute.      L’affreux,  le  cruel
         spectacle que j’eus alors ! le pauvre Thrasyléon assailli de tous côtés
         par cette bande enragée, qui le déchirait à belles dents !   Mon cœur en



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