Page 65 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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entourée de serviteurs si dévoués ! si chérie des vénérables auteurs de
         mes jours ! me voir indignement ravie, réduite au pire des esclavages,
         emprisonnée  comme  la  dernière  des  créatures  sous  cet  horrible
         rocher !   Où sont toutes ces délices pour lesquelles je suis née, au sein
         desquelles on m’a nourrie ? Ah ! quand on me laisserait la vie, s’il faut
         la  passer  dans  ce  repaire  de  carnage,  au  milieu  de  cette  horde
         d’effroyables brigands, d’atroces meurtriers, comment ne pas verser
         des  larmes  de  sang ?  comment  supporter  l’existence ?      Ces
         lamentations durèrent quelque temps. Enfin, accablée par sa douleur,
         épuisée par ses cris et comme brisée dans tous ses membres, elle laisse
         tomber ses paupières appesanties, et s’endort un moment.
            Ce ne fut pas pour longtemps : à peine assoupie, elle se réveille en
         sursaut, et, dans un transport frénétique, se livre à un paroxysme de
         douleur  encore  plus  violent.  Elle  se  meurtrissait  la  poitrine  et
         n’épargnait pas son charmant visage.   Et comme la vieille s’enquérait
         avec instance de ce qui ramenait ces signes de désespoir :   Ah ! dit-
         elle  avec  un  profond  gémissement,  je  suis  perdue,  perdue  sans
         ressource ! Adieu toute espérance. Il ne me reste plus qu’à me pendre,
         à me percer le sein, ou à me jeter dans un précipice.   La vieille alors
         prit de l’humeur. Elle lui dit, en fronçant le sourcil : Que signifie, dites-
         moi,  ce  débordement  de  chagrin,  après  avoir  dormi  d’un  si  bon
         somme ?   Auriez-vous dessein, la belle, de frauder ces braves gens du
         prix de votre rançon ?   Continuez, et vous aurez affaire à moi, et toutes
         vos larmes ne vous empêcheront pas de griller toute vive. Ce genre de
         musique, voyez-vous, ne réussit guère ici.
            La menace effraya la pauvre fille ; elle couvrit de baisers la main
         de la vieille : Grâce ! ma mère, lui dit-elle ; je suis si malheureuse !
         Non,  l’âge  qui  vous  a  mûri  n’a  pas,  sous  vos  vénérables  cheveux
         blancs, éteint toute compassion dans votre cœur. Laissez-moi dérouler
         devant vous le tableau de mon infortune.
              J’étais fiancée à un beau jeune homme distingué entre tous ceux
         de son âge, et que la cité avait tout d’une voix adopté comme son fils.
         Il  était mon cousin, et comptait à peine trois  ans de plus que moi.
         Nourris des mêmes soins, nous avions grandi l’un près de l’autre sous
         le même toit, dans la même chambre, partageant le même lit. Plus tard,
         unis des saints nœuds de l’affection la plus tendre,   nous nous étions



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