Page 56 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 56

pas difficile de reconnaître pour ce qu’ils étaient ;   car ils arrivaient
         chargés de butin de toute espèce, monnaie d’or et d’argent, vaisselle
         plate, étoffes de soie brochées d’or, etc.   La cérémonie du bain se
         répète,  et  les  nouveaux  venus  prennent  place  à  côté  de  leurs
         camarades. Le service est fait par ceux que le sort désigne.   Ils se
         mettent tous à manger et à boire hors de toute règle, de toute mesure ;
         on s’empiffre de mets, on engloutit le pain, on engouffre le vin.   On
         ne cause pas, on vocifère ; on ne chante pas, on crie ; on se jette, en
         guise de bons mots, de grosses injures à la tête. C’est toute la scène
         des Centaures et des Lapithes.   Au milieu du tumulte, l’un d’eux, qui
         surpassait  en  force  tous  les  autres,  s’écrie  soudain :  Nous  sommes
         gaillardement entrés de vive force chez Milon d’Hypate ; nous y avons
         bravement fait un butin considérable. Eh bien ! nous voici de retour,
         tous sur nos pieds ; et même, si cela vaut la peine de le dire, avec huit
         pieds de plus.   Vous autres, qui avez été travailler dans les villes de
         Béotie, vous nous ramenez une troupe moindre, et, qui pis est, affaiblie
         de son intrépide chef Lamachus. Je donnerais bien tout le butin que
         vous avez fait, pour qu’il fût encore là parmi nous.   C’est son courage
         qui a fait sa perte ; mais il sera célèbre entre les plus grands rois et les
         plus illustres capitaines.   Vous, vous êtes de ces discrets voleurs bons
         pour les filouteries domestiques, qui se glissent timidement dans les
         bains et dans les ménages de vieilles femmes, pour y faire leur main
         en tapinois.
            Allons donc, reprend un des derniers venus, est-ce que tu ne sais
         pas que ce sont les grandes maisons qui nous donnent le moins de
         mal ?      Ces  milliers  de  domestiques,  éparpillés  dans  une  vaste  et
         opulente demeure, n’ont tous qu’une pensée, c’est de garantir chacun
         sa peau ; ils se soucient bien des richesses de leur maître !   Tout au
         contraire,  ces  petites  gens,  qui  vivotent  dans  leur  coin,  défendent
         toujours  avec  acharnement  leur  petit  magot,  parfois  bien  dodu,  et
         toujours bien caché. On leur ôterait plutôt la vie.
              Une fois dans Thèbes aux sept portes, notre premier soin a été de
         prendre, en gens du métier, nos renseignements sur la fortune des uns
         et des autres.   Nous ne fûmes pas longtemps à savoir qu’un certain
         banquier, nommé Chryséros, avait chez lui des fonds considérables.
         Cet homme, pour se soustraire aux fonctions et aux charges publiques,



                                          56
   51   52   53   54   55   56   57   58   59   60   61