Page 18 - GUERRE DE JUGHURTA par SALLUSTE - Traduction Ch. Durozoir - 1865 - DZWEBDATA
P. 18
redouter ni violence ni guerre. Il me laisse, comme vous
voyez, dénué de tout, couvert d'humiliation, et réduit à me
trouver plus en sûreté partout ailleurs que dans mes Etats.
J'avais toujours pensé, sénateurs, et mon père me l'a sou-
vent répété, que ceux qui cultivaient avec soin votre amitié
s'imposaient de pénibles devoirs, mais que d'ailleurs ils
étaient à l'abri de toute espèce de danger. Ma famille,
autant qu'il fut en son pouvoir, vous a servis dans toutes
vos guerres, maintenant que vous êtes en paix, c'est à vous,
sénateurs, à pourvoir à notre sûreté. Nous étions deux
frères, mon père nous en donna un troisième dans Jugurtha,
croyant nous l'attacher par ses bienfaits. L'un de nous deux
est mort assassiné, l'autre, qui est devant vos yeux, n'a
échappé qu'avec peine à ses mains fratricides. Hélas ! que
me reste-t-il à faire ? à qui recourir de préférence dans mon
malheur ? Tous les appuis de ma famille sont anéantis.
Mon père a payé son tribut à la nature, mon frère a
succombé victime d'un parent cruel qui devait plus qu'un
autre épargner sa vie, mes alliés, mes amis, tous mes
parents enfin, ont subi chacun des tourments divers. Pri-
sonniers de Jugurtha, les uns ont été mis en croix, les autres
livrés aux bêtes, quelques-uns, qu'on laisse vivre, traînent
au fond de noirs cachots, dans le deuil et le désespoir, une
vie plus affreuse que la mort. Quand je conserverais encore
tout ce que j'ai perdu, quand mes appuis naturels ne se
seraient pas tournés contre moi, si quelque malheur
imprévu était venu fondre sur ma tête, ce serait encore vous
que j'implorerais, sénateurs, vous à qui la majesté de votre
empire fait un devoir de maintenir partout le bon droit et de
www.dzwebdata.com